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Archives - LE CSFA : « COMBAT PROVEN » (II de II)

 

Photo : soutien logistique pendant Serval © EMA / ECPAD
(telle que publiée dans >>> https://operationnels.com/2014/05/12/dans-les-coulisses-de-serval-assurer-le-soutien-logistique-dans-le-brouillard-de-la-guerre/)


Par Murielle Delaporte - Entretien avec le Général de corps aérien Jean-Marc Laurent, Commandant du Commandement du soutien des forces aériennes (réalisé en 2014)

 

Cette seconde partie se concentre sur le retour d’expérience de l’opération Serval menée au Mali en 2013 et le rôle du CSFA pendant la durée d’une mission très particulière en raison de la nature du théâtre.

 

L’arme aérienne a été essentielle pour réussir la première phase de Serval : quel premier bilan faites-vous de cette opération particulièrement exigeante ?

 

Serval, pour l’armée de l’Air et de façon plus pragmatique pour les forces d’appui aéronautique, a constitué un défi extraordinaire et un engagement où les qualités du combattant que sont l’expertise, l’efficacité, la robustesse et la résilience se sont révélées indispensables, mais aussi parfaitement maîtrisées. Le théâtre et l’engagement, vus des techniciens, ont présenté des caractéristiques spécifiques en termes d’élongation et de modes opératoires. Contrairement à l’Afghanistan et à la Libye, il nous a fallu opérer sur des distances intra théâtre considérables et avec un dispositif aérien particulièrement étendu qui a considérablement complexifié le fait logistique pour lequel la pénurie historique en moyens de transport aérien (stratégique ou tactique) n’arrange rien.

 

En effet, le théâtre malien est, comme en Afghanistan, un théâtre enclavé au cœur d’un vaste continent. Dans ces conditions, les capacités de ravitaillement logistique par les airs sont, pour des raisons d’accessibilité mais aussi de réactivité, les plus pertinentes et celles qui répondent plus directement aux enjeux politiques et sécuritaires. L’opération dans cette région subsaharienne a aussi été marquée par son architecture opérationnelle s’appuyant sur plusieurs sites qui couvrent une large partie du Sahel. La médiatisation des opérations se concentre souvent sur les zones les plus « chaudes » de l’engagement de nos forces nationales, mais il faut comprendre qu’une opération aérienne implique un espace de dimension continentale ou, pour le moins, subrégionale qui structure profondément leur réponse opérationnelle.

 

Ainsi, si le Mali est le point de focalisation des effets militaires, l’action des forces aériennes, et singulièrement des forces d’appui, doit se comprendre dans un vaste réseau de bases de théâtre qui interagissent ensemble et qui relèvent d’une architecture opérationnelle interconnectée (à l’image, d’ailleurs, du réseau des bases aériennes de métropole). Le CSFA a donc dû faire face, dans les domaines d’actions qui sont les siens, à cette amplitude du champ opératoire et chaque mouvement de systèmes d’armes de France vers le Sahel ou d’un site du théâtre vers un autre a répondu à une logique d’ensemble qui impose une approche globale du théâtre et rejette, pour ce volet aérien, toute segmentation par pays ou forme d’engagement (coexistence de trois opérations régionales aux objectifs initiaux différents : Epervier, Serval et Sabre).

 

Cette capacité de gestion technico-opérationnelle globale est une des forces du CSFA. Bien entendu, il n’est pas seul, ne s’arroge pas l’intégralité du succès opérationnel de l’opération et a œuvré en parfaite observance des orientations données par les pilotes opérationnels (CPCO- centre de planification et de conduite des opérations – et CDAOA – commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes -), et en intelligence avec les structures de conduite du soutien (CICLO – centre interarmées de conduite logistique opérationnelle -, CMT – centre multimodal du transport -), les prestataires aériens opérationnels (dont l’EATC – European Airlift Transport Command -) et les services de soutien partagé. 

 

Si la géographie a conditionné l’action des forces d’appui opérationnel de l’armée de l’air, les modes d’action ont aussi été déterminants dans la façon d’appréhender le soutien opérationnel de Serval. En Afghanistan, le dispositif aérien français s’est déployé progressivement en périphérie du théâtre (Kirghizstan, Tadjikistan et EAU) en développant des structures d’appui robustes (je pense entre autres à Manas que j’ai eu l’honneur de commander). Elles ont permis d’accroître graduellement la pression sur l’adversaire. Puis, la France a investi des bases aériennes coalisées du pays qui sont devenues des centres d’activité opérationnelle dont la capacité et les moyens resteront des références historiques (en particulier, Kandahar ou Bagram).

 

En Libye, le dispositif aérien a effectué, de façon nouvelle depuis la seconde guerre mondiale, des missions de combat «aller et retour» depuis le sol national (continent ou Corse). Cette période initiale a permis aux forces de soutien opérationnel du CSFA de conjuguer à la fois un appui aux opérations en cours, et de préparer les redéploiements du dispositif qui allaient s’opérer au plus près de la Libye (Souda en Crête et Sigonella en Sicile). Si l’opération Harmattan a été marquée par une accélération considérable du processus opérationnel (par rapport à l’Afghanistan) et par une course permanente contre la montre, le déroulement du processus opérationnel s’est néanmoins fait de façon échelonnée et la projection de puissance d’une part, et de forces d’autre part, s’est faite dans un ordre opérationnel favorable en projetant l’appui opérationnel de sites en sites avant que les opérateurs de systèmes d’armes (équipages et techniciens, entre autres) s’y installent. A cet égard, on peut se féliciter d’un mécanisme technico-opérationnel parfaitement huilé qui n’a jamais connu la moindre interruption opérationnelle, ni le moindre day-off durant les huit mois de l’engagement.

 

Pour Serval, la situation opérationnelle a été quelque peu différente et a constitué un challenge aussi nouveau que singulier pour les forces d’appui. Si les premières missions aériennes ont été déclenchées, comme pour Harmattan, avec un délai qui se compte en heures, les projections de puissance et de forces se sont faites simultanément car les Rafale partis de Saint-Dizier se sont posés en Afrique avant leurs techniciens, même s’ils ont profité de l’appui offert par la base de N’Djamena. Il a donc fallu beaucoup d’ingéniosité, de pragmatisme mais aussi d’énergie et de détermination aux échelons techniques d’appui pour « suivre et appuyer » la manœuvre et l’anticiper autant que faire se peut. Il en a été de même pour les redéploiements sur Bamako et autres aérodromes régionaux pour lesquels la contraction du temps entre la projection des aéronefs et la manœuvre logistique a été extrême et s’est conjuguée, en outre, à un déploiement terrestre d’ampleur qui n’existait pas pour Harmattan et n’avait pas été conçu de la même façon en Afghanistan.

 

Le CSFA a toujours été proactif dans la manœuvre et on se rappellera que les premiers aviateurs sur le sol malien comptaient principalement des techniciens de ce commandement. L’opération Serval aura donc été marquée par une nouvelle accélération du temps opérationnel qui s’est poursuivie tout le long de l’engagement. En effet, après l’entrée en premier réalisée par l’armée de l’air, les forces au sol (dont un certain nombre d’aviateurs des unités du génie aérien du CSFA) ont progressé vers le Nord du Mali avec rapidité et puissance dans un environnement rustique et non sécurisé. A cet égard, je me félicite de la façon dont les combattants techniciens de l’armée de l’air se sont comportés dans l’engagement dans les régions de Gao et de Tessalit où ils ont permis que les forces terrestres et aériennes progressent avec le soutien logistique nécessaire.

 

Enfin, Serval a été le cadre d’un engagement simultané de toutes les composantes aériennes de l’armée de l’Air et avec une activité particulièrement dense pour toutes. Si comme dans les autres opérations, l’aviation de combat a été au premier plan de la projection de puissance, avec un système d’armes Rafale qui continue de révolutionner le combat depuis les airs avec une efficacité et une adaptabilité exceptionnelles, l’aviation de transport a eu son heure de gloire avec des opérations aéroportées remarquables de conception et de réalisation et les systèmes de drones ont montré combien ils apportaient une nouvelle dimension à l’action politico-militaire. Derrière ces systèmes, des techniciens se sont battus et ont donné le maximum d’eux-mêmes pour extraire de nos vieux Transall à bout de souffle l’énergie opérationnelle nécessaire et de nos rares drones Harfang la disponibilité qui leur permet d’agir pendant des dizaines d’heures de façon ininterrompue.Voilà donc le premier Retex succinct que je fais en concluant avec ces trois points que je considère fondamentaux :Serval a avant tout mis en exergue des hommes et des femmes extraordinaires capables de l’impossible et qui s’évertuent à extraire le meilleur des systèmes d’armes avec des ressources et un contexte logistique sévères.


Serval, c’est aussi une organisation du Soutien opérationnel qui a confirmé son caractère Combat Proven. Mon souci est qu’elle conserve sa pertinence et sa cohérence malgré les tensions budgétaires et la tentation, pour certains, d’y détecter quelques économies aussi improbables que de court terme. Car, le soutien opérationnel n’est pas un élément d’environnement de la capacité militaire, il en est la substance même. Il faut même se convaincre que, dans l’aérien, «l’intendance» opérationnelle ne suit pas l’engagement des forces, mais qu’elle doit au contraire le devancer et que de sa puissance naît celle des effets militaires. Son concept et son organisation doivent donc s’inscrire dans ce principe absolu.


Enfin, pour terminer en se projetant dans l’avenir et le préparer, les forces d’appui doivent poursuivre leur maturation opérationnelle. Elles doivent imaginer et concevoir le soutien opérationnel de demain qui doit envisager des engagements toujours plus réactifs, plus éloignés, plus durs, plus complexes. Elles doivent en particulier poursuivre leur combat contre le temps dont l’échelle ne se compte plus en jours ou en semaines mais résolument en heures. Elles doivent rechercher et adopter les meilleurs facteurs de robustesse et de résilience. Elles doivent enfin, comme je l’ai en permanence exigé de mes unités, toujours combattre et raisonner en effet opérationnel à atteindre avant de penser production technique de soutien.

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ARCHIVES / LE CSFA : « COMBAT PROVEN » (I de II)

MCO du Rafale © armée de l’Air et de l’Espace
(telle que publiée sur https://operationnels.com/2014/05/11/le-csfa-combat-proven/)

 

 

Archives - Par Murielle Delaporte - 

 

Entretien avec le Général de corps aérien Jean-Marc Laurent, Commandant du Commandement du soutien des forces aériennes*


*Cet entretien réalisé en mai 2014 a fait l’objet d’une publication dans Opérationnels SLDS 

 

Dans l’entretien ci-dessous réalisé en 2014, le Général Laurent faisait le bilan de l’évolution du commandement du soutien des forces aériennes (CSFA), alors qu’il le commandait de concert avec la zone de défense et de sécurité Sud–Ouest. Ce commandement, né en 2008 du programme AIR2010, s’apprêtait alors à fusionner avec le CFA (commandement des forces aériennes). Cette réforme mettait en avant sa fonction première d’accompagnement des forces « au cœur de la manœuvre opérationnelle », ainsi que sa performance technico-opérationnelle prouvée OPEX après OPEX : Serval, opération emblématique s’il en est et qui fait l’objet d’une section dédiée dans cet article (partie II), n’avait pas fait exception malgré des conditions difficiles d’un théâtre caractérisé par « l’amplitude de son champ opératoire » et « l’accélération du temps opérationnel », et face auxquelles le CSFA avait su s’adapter en permanence.

 


Depuis votre entrée en fonction à la tête du CSFA, quelle a été l’évolution du soutien des forces aériennes et quelles sont ses perspectives ?

 

Depuis 2010, l’environnement de ce qui s’appelle le soutien des forces aériennes a beaucoup changé. A cet égard, le qualificatif « transformation » est plus approprié pour une réalité qui n’est pas qu’une simple « évolution». Chaque armée dispose en son sein d’éléments dynamiques de soutien qui sont intimement liés au tempo opérationnel de ses engagements et qui sont particulièrement marqués par le milieu dans lequel elle s’exprime. Cette forme de soutien a pour objectif de subvenir à des besoins opérationnels immédiats et de proximité qui ne relèvent pas toujours d’une planification à moyen ou long terme et qui sont même souvent marqués du sceau de l’aléatoire.

 

C’est la raison pour laquelle, afin de traduire correctement la finalité de ce soutien, je parle souvent « d’appui», car il s’agit pour lui d’accompagner la manœuvre opérationnelle, souvent d’ailleurs de la devancer, et de générer des solutions technico-opérationnelles pour la faciliter plutôt que de répondre à un seul besoin de production technique. Ainsi, en ce qui concerne le CSFA, on est plus dans une logique de «forces de soutien» que de «soutien des forces». Cette distinction ne doit pas être considérée comme une subtilité sémantique. Elle traduit clairement le fait que les hommes et les femmes du CSFA sont autant des combattants que des techniciens et qu’ils ne font pas partie de l’environnement des forces mais en sont une partie intégrante. De fait, un aviateur – c’est-à dire un personnel relevant de l’armée de l’air – sur deux, et parfois plus en début ou en fin d’engagement dans les zones de crise, relève de ce commandement, qui n’est pas qu’une direction technique de l’armée de l’air mais représente sa composante technico-opérationnelle.

 

Pour être clair et précis, au CSFA on ne fait pas de la technique pour la technique. On ne produit pas des services de soutien. Au CSFA, comme dans les autres commandements de l’armée de l’air, on produit de la capacité opérationnelle dont la vocation est un effet militaire. On est donc bien au cœur de la Force.D’ailleurs, l’ambiguïté portée par le nom de ce commandement sera bientôt levée car il va fusionner avec un autre commandement de l’armée de l’air, le CFA (Commandement des forces aériennes), qui dirige les «opérateurs» de l’armée de l’air qu’ils soient liés aux systèmes d’armes, aux systèmes de C2 (commandement et contrôle) ou aux systèmes de protection. Le CSFA sera ainsi fondu dans ce qu’il convient d’appeler «Les Forces aériennes» de l’armée de l’air dont il composera environ la moitié des effectifs.

 

Sans remettre en cause le programme Air2010 qui lui a donné naissance, le CSFA ne s’est pas figé sur son modèle de 2008 et s’est transformé au gré des différentes réformes et modernisations de l’outil de Défense qui ont sensiblement modifié le panorama des acteurs du Soutien. Celui-ci s’est d’abord caractérisé par un fort mouvement de mutualisation interarmées (SIC – systèmes d’information et communication – non spécifiques, soutien de l’Homme, etc.) et ministériel (Infrastructure par exemple). Ces changements majeurs dans la gouvernance du soutien, ajoutés à la modification du format des forces (Livre blanc de 2008) et aux rationalisations de la RGPP, ont conduit à une diminution de moitié des effectifs du CSFA et au transfert vers des centres de services partagés (CSP) de nombreuses fonctions de soutien. Par ailleurs, une dynamique soutenue d’industrialisation des opérations de maintenance aéronautique a conduit à une externalisation très significative du MRO (Maintenance, Repair and Overhaul) vers l’industrie du secteur étatique ou privé de l’ASD (aéronautique, spatial, défense), en particulier en ce qui concerne les opérations du deuxième niveau technique NTI2.

 

J’estime qu’aujourd’hui et en moyenne, le NSI – Niveau de soutien industriel – a atteint un taux de 75 à 80 % du MRO. Cette proportion est très importante et le NSO – Niveau de soutien opérationnel – résiduel (soutien effectué par les unités du CSFA) frôle une limite basse qui ne pourra être franchie sans que la capacité opérationnelle soit affectée. Au final, par le biais de transformations, rationalisations et industrialisations, le CSFA a vu ses effectifs rejoindre une cible actuelle d’environ 12000 personnes, à plus de 90% militaires, et le contexte opérationnel l’a fait se recentrer sur deux grandes familles de missions opérationnelles qui sont au cœur des opérations de l’armée de l’air : l’appui aux systèmes d’armes et l’appui à la manœuvre aérienne. Ces appuis se concrétisent aussi bien sur les bases aériennes, conçues comme le véritable outil de combat de l’armée de l’air, et en OPEX, au sein des détachements de forces aériennes.La première de ces missions est l’appui technico-opérationnel aux systèmes d’armes. Il s’agit principalement de ce qu’on appelle le MCO (maintien en condition opérationnelle), qui ne couvre pas uniquement le MRO. Dans le sigle MCO, la dernière lettre, qui traduit son caractère opérationnel, est fondamentale et si le MCO recouvre, bien entendu, de la maintenance, il ne se limite pas à cette activité.

 

Ainsi, préparer un aéronef pour une opération aérienne (configuration du système d’armes, montage de l’armement, mise en œuvre des capteurs, préparation des dispositifs de guerre électronique, etc.), ce n’est pas de la maintenance. C’est de l’action de combat. Ces opérations demandent des expertises spécifiques que les «techniciens combattants » doivent être en mesure de développer dans toutes les situations et, en particulier, celles qui s’inscrivent dans un tempo très soutenu, celles qui sont marquées par un contexte logistique dégradé, et celles qui font face à l’incertitude sécuritaire. Pour réaliser l’appui technico-opérationnel aux systèmes d’armes, le CSFA s’appuie principalement sur des escadrons de technique aéronautique (ESTA), des escadrons de logistique aéronautique (ESRT) et des escadrons de mise en œuvre des matériels d’environnement aéronautique (ESME).

 

Le second volet opérationnel du CSFA est celui de l’appui à la manœuvre aérienne. Il est très complémentaire de l’appui aux systèmes d’armes auquel il offre souvent le cadre fonctionnel (installations aéronautiques et dispositifs informationnels). Mais il agit aussi pour d’autres éléments des forces armées à qui il permet parfois de réaliser des missions complexes et sensibles dans la troisième dimension (commandement des opérations spéciales, armées de terre et de mer). L’appui à la manœuvre aérienne, c’est principalement deux domaines d’intervention.


Le premier est celui des systèmes d’information et de communication aéronautiques (SIC Aéro). Il s’agit d’un secteur spécifique des SIC qui regroupe les systèmes de commandement et de contrôles (C2), les radars aériens et spatiaux, les liaisons aériennes tactiques, l’équipement des plateformes aéronautiques, etc. C’est aussi, et le sujet est très clairement central aujourd’hui, un appui en matière de cyberdéfense (le CSFA anime le centre technique de l’armée de l’air en la matière). Pour appuyer la manœuvre tactique des SIC aéro, nous avons des escadrons dédiés sur les bases aériennes (ESICAéro – Escadrons des SIC aéronautiques). Le CSFA a aussi créé un groupement tactique des SIC aéro, positionné à Evreux, qui est une forme de « régiment SIC » car il s’agit d’une unité immédiatement projetable, particulièrement mobile, présente sur tous les théâtres d’opérations et au cœur des zones de crise (FOB en Afghanistan, auprès des forces spéciales, dans les ATL2 de la Marine lors d’Harmattan, au Sahel bien entendu, etc.). Hormis la mise en œuvre des systèmes tactiques, l’expertise rare et recherchée du CSFA est surtout la capacité de concevoir les architectures de C2 des opérations aériennes.


Le second domaine d’intervention de l’appui à la manœuvre est celui du «génie des opérations aériennes». Il s’agit de la capacité à mettre en place les conditions d’accueil des systèmes d’armes, de leurs opérateurs et de leurs techniciens opérationnels. En métropole, il porte l’expertise unique en matière d’installations aéronautiques des bases aériennes (installations de la dissuasion, aires aéronautiques, tour de contrôle, hangars, centres de commandements, etc.) que le Service d’Infrastructure de la Défense (SID) traduit ensuite, avec les entreprises du BTP, en projets d’infrastructure. En opération, le rôle des forces du génie aérien est de développer et construire les dispositifs de stationnement et d’opération des détachements de l’armée de l’air. Il s’agit, entre autres, de déminer et sécuriser les terrains, comme en Afghanistan. Il s’agit aussi d’y construire ou de restaurer des pistes aéronautiques, comme à Tessalit au Mali, de développer des installations aéronautiques qui permettent à notre aviation interarmées d’opérer comme à Niamey, Bamako, Gao mais aussi, lors d’Harmattan, à Souda et Sigonella et, en Asie centrale, à Djibouti et au Tchad, etc.


Afin de traduire correctement la finalité de ce soutien, je parle souvent « d’appui », car il s’agit pour lui d’accompagner la manoeuvre opérationnelle, souvent d’ailleurs de la devancer, et de générer des solutions technicoopérationnelles pour la faciliter plutôt que de répondre à un seul besoin de production technique. Ainsi, en ce qui concerne le CSFA, on est plus dans une logique de « forces de soutien » que de « soutien des forces ».

 

Le CSFA va poursuivre, au sein de l’armée de l’air, ce processus de maturation opérationnelle par un rapprochement fonctionnel et organique avec le CFA. Celui-ci permettra de rendre encore plus robuste la chaîne de commandement technico-opérationnelle. Il mettra aussi et surtout l’armée de l’air dans la meilleure posture pour faire face aux nouveaux enjeux de défense, d’innover utilement en matière de concepts et de doctrines d’emploi par une plus grande complicité entre combattants de l’armée de l’air, d’optimiser la préparation des forces au moment où les ressources humaines et matérielles doivent faire l’objet d’une gestion particulièrement fine, d’amplifier la cohérence entre opérateurs et techniciens de façon à apporter aux décideurs les meilleurs solutions capacitaires et de maîtriser les risques de façon encore plus efficace (facteur humain, sécurité aérienne, maîtrise des ressources, etc.).

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MCO-A : une histoire de générations (II de II)

Unehistoiredegeneration

 

Crédit photo : retour d’un équipage Puma de l’Escadron d'hélicoptère 1/44 de Solenzara,
dont les missions principales sont le secours terrestre (SATER) et maritime (SAMAR)
© Jean-Luc Brunet, armée de l’Air et de l’Espace, Solenzara, 10 avril 2024

 

 

Par Murielle Delaporte

 

Une « customisation » du MCO-A à prendre en compte

 

Un tel constat incite à réflexion et conduit à deux grandes observations générales sur ce que l’on pourrait appeler le « MCO-A intergénérationnel » :

 

1. Des logiques de cycles de vie différentes entre MRO civil et MCO-A  : l'impact sur les structures


La première observation qu’il convient de rappeler est la différence de logique fondamentale qui oppose le secteur aéronautique civil du secteur militaire en termes de cycles de vie.

 

Là où le secteur commercial préfère renouveler sa flotte rapidement et régulièrement à des fins économiques (performance, consommation, maintenance), le secteur militaire tend à conserver les siennes, souvent de tailles réduites (hors Etats-Unis), parfois au-delà d’un demi-siècle : le Puma est un exemple, mais il en existe bien d’autres, telle, par exemple, la flotte de KC-135 dont l’armée de l’Air américaine a dû se contenter jusqu’à encore récemment ou encore le cas du CH-47 Chinook dont la famille est en service depuis 1962.

 

Les raisons sont multiples, mais la plupart du temps associées aux dividendes de la paix et autres contraintes budgétaires, mais aussi à une organisation des armées s’étant finalement adaptée aux besoins de maintenance des forces de façon organique et habituée à entretenir des matériels de plus en plus anciens avec des outils et des savoir-faire dérogeant aux principes industriels traditionnels.

 

En France, l’existence du SIAé (Service industriel de l’aéronautique) et des AIA (ateliers industriels de l’aéronautique) est caractéristique d’une politique délibérée de maintenir non seulement les compétences techniques humaines, mais aussi une chaîne d’approvisionnement spécifique aux matériels d’ancienne génération dans lesquelles aucune industrie commerciale privée ne saurait investir. « Les Ateliers Industriels Aéronautiques permettent de maintenir ces aéronefs opérationnels, même après que les entreprises privées n’assurent plus leur entretien. Ils deviennent donc des références en expertise aéronautique, développant des techniques de métrologie et de réparations à la pointe du progrès, et rassemblant des savoir-faire de plus en plus rares aujourd’hui. Cela est d’autant plus vrai que ces Ateliers sont les derniers dépositaires de pièces anciennement utilisées dans les vieux aéronefs et qui ne se fabriquent plus de nos jours. Il s’agit donc de ressources inestimables pour l’Etat, qui n’est ainsi pas dépendant d’un tiers pour maintenir la vaillance de sa flotte aérienne, et peut si nécessaire se suffire à lui-même », écrivait ainsi Amélie Spire en 2010 dans un article consacré au MCO du Puma à l’AIA de Cuers (1).

 

La cohabitation d’un modèle mixte de MCO-A où secteur public et secteur privé tendent à se compléter trouve ici sa justification, laquelle, en temps de crise, retrouve de surcroît une certaine légitimité face au besoin d’intervenir avec une urgence incompatible avec les règles contractuelles, voire agir sur les théâtres d’opérations extérieurs, le SIAé étant doté de personnels militaires spécifiques et rapidement mobilisables à cette fin.

 

 

2. Un équilibre à trouver entre coexistence multigénérationnelle et coût du MCO-A : l’impact sur les formations

 

Toute la difficulté des planificateurs militaires est de jongler entre flottes de générations différentes, tant d’un point de vue tactico-opérationnel que d’un point de vue maintenance, afin de satisfaire le besoin des forces et remplir les contrats opérationnels qui leur sont assignés. C’est aussi l’une des raisons expliquant qu’il est très difficile d’imposer une seule stratégie MCO dans les armées et un seul mode de gestion des flottes : au contraire, chacune, voire chaque standard au sein d’une flotte, requiert un MCO sur mesure et personnalisé.

 

Ce MCO-A multiformes est aussi lié aux conditions d’exploitation opérationnelle exigeant généralement un soutien de micro-flottes dispersées (aéronefs, techniciens et outils de soutien) et des utilisations tactiques épuisantes pour le matériel sur des théâtres se caractérisant souvent par la rusticité et la rigueur des éléments (chaleur, humidité, salinité, etc.).

 

La rupture générationnelle entre conception mécanique et numérique des aéronefs a encore renforcé ce dilemme, en ce sens que les mises à niveau et autres traitements d’obsolescence se font bien entendu de plus en plus par le biais de modernisation de logiciels, voire par extension de configurations. Cette digitalisation du MCO a conduit aussi à se doter d’outils de soutien technique non utilisables pour les générations anciennes, ce qui rend complexe la logistique déployée lorsque différents types d’aéronefs anciens et récents cohabitent.

 

D’où la nécessité au cours de ces dernières années de faire cohabiter mécaniciens d’ancienne génération et personnels de maintenance de nouvelle génération, dont les formations, les compétences voire les métiers s’avèrent très différents. A titre d’exemple, on citera notamment la disparition sur A400M et MRTT du mécanicien de bord au profit d’un soutier multifonctions.

 

Si les flottes d’autrefois requéraient un personnel MCO spécialisé pour chaque aéronef, ce dernier pouvait aussi opérer sur plusieurs flottes limitant l’empreinte logistique. Les personnels des flottes d’aujourd’hui bénéficient en revanche d’une vision numérique globale et de plus en plus unifiée des appareils (système d’information technique et logistique), laquelle a ses avantages, mais requiert bien évidemment une formation et un type d’intervention différents.

 

Dominée par l’adoption des pratiques managériales dites « Lean » dans les années 2000, l’optimisation des flottes en matière de MCO-A passe aujourd’hui davantage par la généralisation de technologies de rupture et par la numérisation « intelligente ». Un autre sujet à venir …

 

 

Note de bas de page


(1)  https://operationnels.com/2010/09/13/mco-puma-2/

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MCO-A : une histoire de générations (I de II)

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Crédit photo : cérémonie en l’honneur des 50 ans du Puma

© armée de l’Air et de l’Espace, base aérienne (BA) 126 de Ventiseri-Solenzara, 2 mai 2022
(https://www.defense.gouv.fr/air/actualites/anniversaire-puma-celebre-ses-50-ans-service-operationnel-larmee-lair-lespace)

 

 

 

Par Murielle Delaporte

 

 

L’édition d’Eurosatory 2024 vient d’être marquée par l’annonce du nouveau programme d’hélicoptère de Leonardo, l’AW249, destiné à remplacer l’A-129 Mangusta en service au sein de l’armée de Terre italienne depuis les années 1990 à partir de 2025 (1).


Il s’agit là du tout premier programme européen d’hélicoptère de combat conçu en partant de zéro depuis le Tigre, pour lequel les premières discussions avaient été initiées en 1975.


Ceci illustre la longue habitude des armées européennes de fonctionner avec des matériels non européens (comme avec l’hélicoptère américain Apache) ou alors européens, mais désormais anciens qu’il faut faire durer coûte que coûte faute de pouvoir compter avec certitude sur de nouvelles acquisitions.


A cet égard, la célébration du cinquantenaire du Puma, le mois précédent, confirme un état de fait qui a contraint les forces armées à s’organiser pour que ses équipements puissent – littéralement - « s’inscrire dans la durée ».


Cette note publiée en deux parties s’efforce de tirer quelques observations générales d’un MCO-A que l’on peut qualifier d’« intergénérationnel ».


La symbolique du Puma : cinquante ans de bons et loyaux services

 

Le 2 mai dernier, l’armée de l’Air et de l’Espace (AAE) française organisait une cérémonie sur la base aérienne 126 de Ventiseri-Solenzara en l’honneur de l’hélicoptère SA-330 Puma, afin de célébrer ses cinquante ans de service au sein de cette dernière et ses presque soixante ans d’existence.


C’est en effet en 1965 qu’a eu lieu à Marignane, dans le sud de la France, le premier vol d’essai de cet hélicoptère mythique de moyen tonnage né d’une coopération franco-britannique entre les sociétés d’alors Sud Aviation et Westland Helicopters (1). Et c’est à Solenzara, où il a fait ses débuts et où est installé un pôle « Puma », que sept Puma continuent de sauver des vies au quotidien et de former les équipages (2).


Sur les quelque 697 SA 330 Puma construits entre 1965 et 1987 – date à laquelle les SA 332 Super Puma prennent la relève sur les chaines de montage -, dix-huit d’entre eux sont encore en service, en 2024, au sein de l’AAE et trente-deux au sein de l’armée de Terre françaises. Les premiers sont peu à peu remplacés par les Airbus H225M Caracal (depuis 2005) et les seconds, modernisés en AS532 Cougar dans le courant de années 90, par les NH90 Caïman (depuis 2011 et à l’horizon 2030 pour ces derniers).


Une longévité exceptionnelle pour une famille d’appareils particulièrement appréciée en raison de sa rusticité et de sa polyvalence en France et à l’étranger, où, tant la version SA 330 que la suivante SA 332 sont toujours plébiscitées, comme au Royaume Uni notamment qui a décidé l’an dernier de repousser le retrait de ses Puma HC.2 initialement prévu à 2025 à 2028 voire 2030 (3). Mais nombreux sont les pays ayant acquis des Puma au fil des ans, que ce soit en Europe (Portugal), en Afrique (Afrique du Sud, Congo, Tchad, Nigéria, Soudan, Algérie, Tunisie), au Moyen-Orient (EAU, Irak), en Amérique du sud (Argentine, Equateur), voire en Asie (Philippines) (4).


Il est clair que cette ancienneté n’est pas sans poser de problèmes en matière de maintien en condition opérationnelle (MCO), dont le coût est devenu – depuis déjà quelques années – proprement déraisonnable. Un tel constat suit très logiquement la fameuse courbe de Gauss inversée (dit aussi « courbe en baignoire ») qui prévaut dès lors que l’on étudie le coût du MCO au fur et à mesure du cycle de vie de tout matériel, dont la maintenance est systématiquement la plus onéreuse en début et en fin de vie.


Le rapport d’information « fait au nom de la Commission des finances sur la disponibilité des hélicoptères du ministère des Armées» par le sénateur Dominique de Legge dénonçait ainsi en 2018 le fait que « seul un hélicoptère sur trois [était alors ] en mesure de décoller » : ce faible taux de disponibilité technique – c’est-à-dire la capacité « d’accomplir en sécurité l’une des fonctions pour lesquelles [un hélicoptère ] a été conçu , dans un délai inférieur à six heures, compte-tenu du système de soutien mis en place » - s’expliquait alors en partie par la coexistence d’un « parc hétérogène, comprenant une douzaine de flottes distinctes et rassemblant des aéronefs de trois générations différentes : « nouvelle génération » (NH, Tigre), « génération actuelle » (Cougar, Caracal, Panther) et « ancienne génération » (Puma, Gazelle, Lynx), renforçant ainsi la complexité du soutien » (5).


L’examen de l’évolution du taux de disponibilité du SA 330 Puma au cours de la période récente par rapport aux flottes de générations plus récentes, suscite cependant l’admiration, en ce sens que l’écart de performances entre ces dernières (aussi basses furent-elles en métropole ou dans les territoires ultramarins et aussi hautes furent-elles en OPEX) ne s’est pendant longtemps pas avéré si tangible que l’on pourrait le penser, ainsi que le suggèrent les tableaux suivants, lesquels, aussi incomplets soient-ils, indiquent des ordres de grandeur comparatifs.

 

TAUX DE DISPONIBILITE COMPARATIF DES HELICOPTERES DE L’ARMEE DE L’AIR ET DE L’ESPACE EN 2019 (6)

 

 Picture1 mco

 

 Picture2 mcp

 

Picture3 mco

 

 

Notes de bas de page


(1) Sud-Aviation a intégré la société française Aérospatiale en 1970 laquelle se fonda dans Airbus en 2000. Westland Helicopters a été racheté par l’italien Finmeccanica en 2004, devenu depuis Leonardo.
(2) Voir à ce sujet par exemple : https://theaviationist.com/2024/06/18/leonardo-aw-249-international-debut/
(3) Voir notamment : https://www.ladepeche.fr/2024/05/02/helicoptere-puma-50-ans-de-service-dans-larmee-de-lair-et-toujours-en-action-11922815.php et http://defens-aero.com/2019/10/remplacant-puma-armee-air.html
(4) https://www.avionslegendaires.net/2023/05/actu/la-raf-veut-retarder-le-depart-en-retraite-de-ses-puma-hc-2
(5) https://defense-zone.com/blogs/news/helicoptere-puma-alat-fin-de-service
(6) https://www.senat.fr/rap/r17-650/r17-6501.pdf (pages 9 et 10)

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MCO aéronautique et « économie de guerre » (II de II)

Deux A400M en maintenance a latelier de Clermont Ferrand   CRichard Andrieux

 

Photo : Deux A400M en maintenance à l'atelier de Clermont-Ferrand © Richard Andrieux (tel que publié sur le site du ministère des Armées >>> https://www.defense.gouv.fr/nos-expertises/equipements-maintenance)

 

Par Murielle Delaporte

Les défis propres au MCO-A

Si l’on reprend les cinq chantiers évoqués dans la première partie de cet article - visibilité pour les industriels ; simplification des procédures d’acquisition ; sécurisation des chaînes d’approvisionnement ; recrutement ; financement -, il n’est pas inutile d’en comparer l’évolution dans le domaine du MCO-A en les replaçant dans des contextes historiques différents et avec le recul offert par le temps :

 

- Visibilité pour les industriels : il s’agit là de la condition sine qua non permettant aux industriels de pouvoir mettre en œuvre une stratégie d’investissement limitant les risques sur le long terme. Cette pratique a commencé à être mise en œuvre avec succès lorsque la politique de la révision générale des politiques publiques (RGPP) initiée en 2007 a incité les pouvoirs publics à rechercher des solutions « gagnant-gagnant », notamment en développant des partenariats public-privé (PPP). La SIMMAD (Structure Intégrée du Maintien en condition opérationnelle des Matériels Aéronautiques du ministère la Défense), en charge du MCO aéronautique et créée en 2000 (1), a alors cherché à associer de façon plus étroite l’industrie du MCO-A à l’action opérationnelle. Cette initiative devait non seulement permettre de faire face aux réductions de personnels militaires, mais aussi de faire passer l’industrie du statut de fournisseur de services à celui d'acteur capacitaire de premier rang. La Direction de la maintenance aéronautique (DMAé), créée en 2018, a succédé à la SIMMAD en amplifiant cette démarche et en systématisant des contrats verticalisés responsabilisant encore plus l’industrie sur une durée moyenne de dix ans – parfois davantage sur certaines flottes telles celle des Mirage 2000 (14 ans) (2) et certains aéronefs d’ancienne génération.

 

- Simplification des procédures d’acquisition : les initiatives actuelles – telle la notification, le 8 avril dernier par la DMAé, d’un « marché pour la fourniture, à des fins de renseignement, de drones et de prestations de soutien associées » au groupement Survey Copter, EOS Technologie, Delair et Thales (3) - font écho aux procédures dites d’urgence opérationnelle qui ont prévalu jusqu’à présent lorsqu’un besoin OPEX se faisait sentir de manière urgente. Ce qui diffère cependant aujourd’hui est l’apport de mesures plus structurelles visant à inciter les industriels à accélérer la cadence et livrer en avance de phase (prime à l’avance par exemple (4)). Il sera ainsi intéressant d’observer comment ce type de marché, qui exige une prise de risque accrue des industriels concernés (ne serait-ce qu’en raison de l’épineuse question du financement de stocks suffisants), va se développer à terme dans d’autres secteurs de l’aéronautique et quel en sera l’impact direct sur le MCO-A.

 

- Sécurisation des chaînes d’approvisionnements : cette question rejoint la question plus globale de la souveraineté et se heurte à la difficulté d’inverser une politique économique qui a fonctionné pendant plus de trente ans selon le principe d’une « globalisation heureuse ». Même si la pandémie de Covid-19 aura eu pour seul mérite de servir d’alerte et de contribuer à faire preuve de davantage de prudence en matière de contrôle des fournisseurs, la course aux matériaux stratégiques ne peut que s’intensifier au fur et à mesure de l’accroissement des tensions géopolitiques. C’est la grande différence avec l’époque de la Guerre froide pendant laquelle les gouvernements occidentaux issus de la Seconde guerre mondiale disposaient d’un contrôle plus important de leur appareil industriel, y compris en matière de stocks et de réquisitions. De fait, les mesures récemment annoncées dans ce domaine concernent plus particulièrement le réaménagement du cadre d’emploi d’un décret de 1959 permettant d’élargir le champ d’application de cet outil législatif aux nouvelles menaces (5) et de faciliter « la mise en œuvre des engagements internationaux de l’Etat en matière de défense » (6) (en particulier vis-à-vis de l’Ukraine).

 

En matière de MCO-A, l’enjeu de cette sécurisation est celui de l’approvisionnement en rechanges ou en composants élémentaires qui leur sont associés. Cela passe d’abord par une cartographie complète de l’origine des dites ressources afin d’éviter une dépendance excessive par rapport à certains composants provenant de pays à risques (7). L’analyse gouvernementale réalisée l’an dernier fait ainsi état de deux cents goulots d’étranglement, soit 4 % des entreprises constituant la Base industrielle technologique de défense (BITD). Alexandre Lahousse décrivait ainsi la situation dans un entretien publiée dans le numéro 7 d’Esprit Défense publié en mai 2023 : « ces entreprises ne sont pas des maillons défaillants. Elles assurent leur partie. Simplement, certaines pourraient ne pas être en capacité d’accélérer au même rythme que les autres. (...) L’identification de ces goulets d’étranglement est en cours. Les raisons peuvent être diverses. Parfois, les machines de production sont déjà utilisées à 100 %. Parfois, les ressources humaines nécessaires sont insuffisantes. Ces difficultés peuvent également se cumuler. Nous mettons en place des solutions adaptées et des partenariats. Nous travaillons par exemple avec le ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique pour permettre à ces sociétés de bénéficier de plans comme France 2030 » (8).

 

C’est dans cet esprit que vient d’être annoncé le lancement de l’accélérateur défense BPi (9), pour lequel ont été sélectionnées vingt-huit PME produisant ou assurant la maintenance d’équipements militaires, lesquelles s’apprêtent « à suivre un programme d’accompagnement de douze mois alliant conseils personnalisés, journées dédiées aux enjeux du secteur défense et mises en relation, afin d’offrir aux dirigeants tous les outils nécessaires pour répondre aux enjeux de l’économie de guerre » (10).

 

- Recrutement : produire plus suppose des approvisionnements, mais aussi du personnel formé de façon adéquate et en nombre suffisant. Le MCO-A est un domaine souffrant particulièrement depuis des années d’une pénurie d’ingénieurs et de mécaniciens, qu’ils soient civils ou militaires. L’action gouvernementale actuelle vise à faire connaître davantage ce secteur aux jeunes générations après des années d’indifférence et les investissements en cours pourraient permettre d’en accroître l’attractivité. Seul un « réarmement humain » du MCO-A pourra effectivement le rendre crédible dans une logique d’économie de guerre. La constitution d’une réserve opérationnelle stratégique et le développement des conventions de partenariat (11) mises en place avec les industriels (telles que celles annoncées récemment entre Renault et la Garde nationale (12)) pourraient également répondre à cette problématique.

 

- Financement : même si les effets résiduels de la pandémie, les coûts de l’énergie et l’inflation actuelle compliquent une reprise économique sereine dans un secteur aéronautique caractérisé par une forte demande, ces investissements en augmentation sont certainement le « facteur disruptif » majeur par rapport aux décennies précédentes. Ils ont permis en effet non seulement d’améliorer la disponibilité technique opérationnelle de nombre d’aéronefs, mais aussi d’encourager une innovation exponentielle dans les secteurs clés d’aujourd’hui, tels que notamment l’intelligence artificielle, l’impression 3D ou encore la course aux supercalculateurs quantiques (13). Toutefois, le véritable passage en économie de guerre – ou de défense - suggère des capacités de financement très au-delà de l’existant, et donc, théoriquement, une révision de la Loi de programmation militaire. Il est cependant probable que la dette nationale ne contraigne fortement la capacité de l’Etat à faire face à une telle échéance, à moins de ne revoir d’autres politiques publiques.

 

Parmi les mesures récemment annoncées, une nouveauté à souligner concerne cependant la mise en œuvre de dispositifs incitant le secteur bancaire privé à participer à cet « effort de guerre » (14), qui n’est autre que la restauration d’une économie de défense à un niveau suffisant – un impératif que toute société devrait prioriser en temps de paix comme en temps de tensions, telle une politique d’assurance destinée à protéger les valeurs auxquelles elle est attachée et que nombre de nations occidentales ont trop longtemps considéré comme acquises.

 

Notes


(1) Voir par exemple sur le contexte de création de la SIMMAD >>> https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/EzPublish/McoRapport.pdf (https://www.senat.fr/rap/r07-352/r07-352_mono.html)
(2) Voir par exemple : https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/soutien-les-contrats-verticalises-font-lentement-decoller-la-disponibilite-des-aeronefs-des-armees-901949.html

(3) https://www.defense.gouv.fr/dmae/actualites/nouveau-marche-fourniture-fins-renseignement-drones-prestations-soutien
(4) « (…) l’inclusion d’un nouveau mécanisme d’accélération, une clause qui autorise le donneur d’ordre à demander une hausse de la cadence de production atteignant jusqu’à 50% sans modifier le contrat [a de] quoi inciter à constituer des stocks d’approvisionnements longs dès l’attribution du marché « parce qu’ils ont la certitude de pouvoir les écouler vu que nous les achetons » ». (Quelles avancées après 18 mois d’ « économie de guerre » ?, Nathan Gain, 4 mars 2024 >>> https://www.forcesoperations.com/quelles-avancees-apres-18-mois-d-economie-de-guerre)

(5) https://www.vie-publique.fr/questions-reponses/293533-defense-la-requisition-des-entreprises-privees-en-3-questions ; voir sur le décret de 1959 : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000517516/1959-01-08/
(6) « Economie de guerre » : en quoi consistent les « réquisitions » pour accélérer l’aide à l’Ukraine ?, L’Express, 26 mars 2024 (https://www.lexpress.fr/economie/economie-de-guerre-en-quoi-consistent-les-requisitions-pour-accelerer-laide-a-lukraine-)
(7) Malgré une politique de contrôle de qualité qui avait été renouvelée dans certains secteurs de la défense au cours des dernières décennies, les Etats-Unis sont eux aussi confrontés à ce défi, ainsi que l’illustre la découverte récemment mise en avant de la dépendance du F-35 à certains composants chinois (Voir par exemple sur ce sujet : https://www.nationaldefensemagazine.org/articles/2022/9/20/chinese-sourced-magnet-in-f-35-prompts-supply-chain-concerns)
(8) « Les industriels doivent anticiper et investir dès maintenant dans leur outil de production », entretien publié dans le cadre d’un dossier plus complet (pages 34 à 42) dans : https://www.defense.gouv.fr/sites/default/files/ministere-armees/esprit-defense-numero-7-printemps-2023.pdf

(9) https://evenements.bpifrance.fr/ami-accelerateur-defense-

(10) https://www.defense.gouv.fr/dga/actualites/lancement-laccelerateur-defense-partenariat-bpifrance

(11) https://www.archives.defense.gouv.fr/reserve/reserve-et-entreprises/partenariat-reserve-entreprise-defense/partenariat-reserve-entreprise-defense.html

(12) https://www.defense.gouv.fr/actualites/convention-muscler-reserve-operationnelle ; voir aussi sur ce sujet : https://ihedn.fr/2023/11/27/la-reserve-des-armees-pivot-des-forces-morales-de-la-nation/
(13) Voir par exemple >>> https://www.lemonde.fr/sciences/article/2024/04/22/l-ordinateur-quantique-sort-des-limbes_6229246_1650684.html
(14) La mobilisation des « encours non centralisés du Livret A et du livret de développement durable et solidaire » fait par exemple partie de ces mesures incitatives (voir : https://www.vie-publique.fr/loi/293270-financement-de-lindustrie-de-la-defense-livret-proposition-de-loi ; https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl23-191.html(14)

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