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Le MCO aéronautique face à l’hypothèse d’un engagement majeur et de haute intensité : de la nécessité d’un changement d’état d’esprit (II de II)

Par Murielle Delaporte - Temps forts du premier panel intitulé « Le MCO aéro confronté à une conflictualité majeure » (Partie II)

 

 

Solutions et outils mis en place : « sortir du cadre »


La dispersion de forces aériennes mise en œuvre par l’AAE dans le cadre du concept MORANE pour « mise en œuvre réactive de l’arme aérienne » (équivalent de la doctrine ACE de l’USAF pour « Agile Combat Employment ») fait l’objet de nombreux entraînements comme ce fut le cas pendant l’exercice VOLFA 2024. Un redéploiement rapide réalisé dans des conditions dégradées réalistes (« adversaire redoutable » ; mission sans GPS, ni flux logistique complet) et requérant non seulement un C2 agile, mais aussi des mécaniciens inventifs capables de travailler sous pression HI1 ...


Pour le général Gourdain, quatre conditions sont nécessaires pour que le MCO-A puisse faire face au tempo et à l’attrition engendrés par une hypothèse HEM/HI :

  1. L’agilité, c’est-à-dire la capacité de « sortir du cadre » pour répondre efficacement aux hypothèses non conformes aux manuels et procédures ;
  2. La robustesse, c’est-à-dire la propension à pouvoir rapidement réutiliser des équipements et former des mécaniciens rapidement en environnement dégradé (avec des outillages eux aussi dégradés) ;
  3. Une connexion NSO/NSI (forces / industriels) plus fluide permettant un processus décisionnaire rapide et basé sur une confiance mutuelle ;
  4. L’innovation non seulement technologique (telle la révolution 3D), mais aussi dans la façon d’aborder les sujets en coopération avec les industriels.

 

Cette innovation se retrouve notamment dans l’accélération du développement et de la pérennisation des PCS pour « pôles de conduite de soutien », plateaux techniques permettant de sortir de la logique de silos et permettant à tous les acteurs d’œuvrer de conserve pour améliorer la disponibilité. Ces PCS jouent déjà un rôle essentiel en cas de problème spécifique (comme ce fut le cas pour l'A400M endommagé à Darwin pendant Pégase 2024) ou pendant les JO afin d’assurer une disponibilité maximale des Fennec assurer la posture de sûreté aérienne : on parle alors de « PCS de circonstance ». En cas d’engagement majeur de haute intensité ces plateaux deviendraient de véritables « plateaux de guerre »2.

 

La nécessité de travailler en coalition

 

La réapparition de la menace dite symétrique implique que les forces armées occidentales travaillent en coalition tant pour avoir la supériorité aérienne que pour retrouver l’initiative du tempo des opérations.

 

C’est le constat du général Gomez Blanco qui a souligné l’importance des exercices tels Pacific Skies cet été avec la France et l’Allemagne.

 

C’est aussi celui du contre-amiral Lamielle qui souligne que « nous sortons d’une zone de confort » et se réjouit du fait que les exercices interalliés prennent dorénavant en compte l’attrition et les problèmes de supply chain, ce qui n’était pas le cas encore récemment.

 

Revenir à l’essentiel de la mission : « sortir de la logique de la «surfiabilité »


Pour le général Gourdain, l’exercice Orionis « qui a maintenant lieu toute l’année avec les industriels » répond précisément à cette nécessité de « passer du soutien à l’entraînement des forces à l’entraînement des forces de soutien » sur l’ensemble des forces et de la chaîne d’approvisionnement.


Orionis permet de « multiplier les stress tests », l’objectif étant de mesurer l’impact sur la sécurité et la performance de solutions faisant passer la mission avant « la surfiabilité et la surqualité » qui dominent depuis des décennies la logique industrielle. Il faut ainsi « passer d’une navigabilité réglée à une navigabilité gérée », mais pour ce faire, le conseil des industriels pour adopter et tester les bonnes solutions en milieu dégradé est absolument primordial.


Le général Feola, ancien commandant de la BAP (Brigade aérienne d’assaut et de projection), est allé dans le même sens en expliquant que « le cadre de sécurité des vols doit s’adapter », de façon a ce qu’aéronefs et équipages puissent voler tous les jours, car « les équipages qualifiés ne se trouvent pas sur étagère » …


Un nouvel état d’esprit doit donc régner, car « cela ne se décrète pas » le moment où on en a besoin, a-t-il conclu.

 

Notes :

Général Sabéné

Général Feola

 

Photo © anelb.com, 2024

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Le MCO aéronautique face à l’hypothèse d’un engagement majeur et de haute intensité : de la nécessité d’un changement d’état d’esprit (I de II)

Par Murielle Delaporte - Temps forts du premier panel intitulé « Le MCO aéro confronté à une conflictualité majeure » (Partie I)

 

Ce panel était animé par le général de corps d'armée aérien (2S) Jean-Marc Laurent, fondateur et responsable de la Chaire Défense & Aérospatial, Sciences Po Bordeaux, et réunissait (dans l’ordre de leurs interventions) :

  • Le contre-amiral Hervé Lamielle, chef de la division soutien de l’activité de l’état-major des Armées ;
  • le général de division aérienne Julien Sabéné, commandant en second du CTAAE (commandement territorial de l’armée de l'Air et de l'Espace) ;
  • le général de brigade aérienne Fabrice Feola, commandant du CSOA (centre de soutien des opérations et des acheminements)  ;
  • le général de brigade aérienne Etienne Gourdain, officier général « Nucléaire et Sécurité », état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace ;
  • et par voie de vidéo, le général de division aérienne Rafael Gomez Blanco, directeur de l’ingénierie au sein du commandement logistique de l’armée de l’Air espagnole.

 

L’angle d’approche de ce panel était d’aborder la « problématique de la préparation et de l’anticipation face à l’hypothèse d’un conflit majeur et de haute intensité » tant d’un point de vue politico-militaire que de la « conception d’une posture opérationnelle et technico-opérationnelle » adaptée à un tel scénario [1].


Après avoir « planté le décor » de ce que représenterait un conflit majeur de haute intensité en termes militaires et de pression sur la chaîne MCO-A et avoir fait le constat des moyens et solutions mises en œuvre à l’heure actuelle, tous les participants se sont accordés quant à la nécessité d’insuffler un véritable changement de mentalité permettant aux avions et aux pilotes de voler au quotidien dès maintenant, afin d’« être au rendez-vous de la disponibilité » le moment venu [2].

 

Définition et impact de l’engagement majeur et de la haute intensité sur les forces : « intégrer le MCO à la manœuvre »


S’exprimant au nom de l’EMA (état-major des Armées), le contre-amiral Lamielle a présenté l’évolution du contexte stratégique comme une « accélération du monde » et un « accroissement des incertitudes » reflétant le recul de la vision occidentale d’un ordre international basé sur le droit et contraignant à un « changement de paradigme opérationnel » face à un recours à la force devenant plus fréquent et plus violent.


L’impact le plus immédiat pour les forces armées est la nécessité de changer également de paradigme entre « maîtrise et gestion du risque » face à l’hypothèse – susceptible de devenir une réalité à tout moment – d’un affrontement de forte violence s’inscrivant dans la durée « avec des dépassements de seuils au regard d’enjeux primordiaux, voire existentiels ». C’est la définition de la haute intensité par rapport à l’hypothèse d’engagement majeur, laquelle peut inclure des épisodes de haute intensité.


Fort d’une longue carrière dans le soutien aéronautique naval, le contre-amiral Lamielle estime ainsi que pour ce type d’interventions, le MCO ne doit pas être compris comme un simple accompagnement de la manœuvre, mais doit être totalement intégré à cette dernière. Qui dit MCO dit également MCS – maintien en condition de sécurité - des systèmes d’armes, dans la mesure où l’usage de la force est actuellement multi-milieux et inclut donc les champs immatériels (cyber et informationnel).

 

Le positionnement de la troisième dimension face à un engagement majeur de haute intensité : la question de la masse

 

Ancien pilote de chasse, le regard du général Sabéné quant à l’impact d’un scénario d’engagement majeur et de haute intensité sur l’arme aérienne l’a conduit au constat suivant :

  • L’histoire de l’AAE (armée de l’Air et de l’Espace) est faite de prise de risque et peut se résumer à la célèbre citation du père de l’Aviation, Clément Ader, laquelle dit : « Sera maître du monde qui sera maître de l’air ». Un constat maintes fois prouvé par les opérations aériennes menées depuis la première guerre mondiale et a contrario par l’absence d’emploi de son aviation militaire par l’armée russe dans le conflit qui l’oppose aujourd’hui à l’Ukraine.

  • Mais le second enseignement de ce conflit est la nécessité de pouvoir compter sur la masse pour vaincre un adversaire symétrique : le coût croissant des avions militaires (selon les célèbres Lois d'Augustine, « un B2 coûte plus cher que son poids en or ») rend toute supériorité aérienne loin d’être acquise, la masse permettant de pénétrer les défenses A2AD (« Anti-Access / Anti-Denial ») étant aujourd’hui obtenue sur le champ de bataille ukrainien par l’explosion de la production de milliers de drones de part et d’autre, autre manifestation de la troisième dimension dans un contexte d’engagement majeur de haute intensité.

 

Si la notion de MCO est ainsi « à rapporter à des volumes », ainsi que l’a rappelé le général (2S) Laurent, il est un autre domaine tout aussi essentiel à ce dernier qui manque cruellement de masse, à savoir celui de la logistique indispensable au soutien.


Le général Feola, responsable des acheminements stratégiques en tant que commandant du CSOA, a ainsi souligné un effet ciseaux préoccupants caractérisé par d’une part « une augmentation des besoins en mobilité des forces » et d’autre part « une diminution des moyens de projection et de transport ».

 

Autre vulnérabilité qui concerne l’ensemble des forces armées, l’externalisation de certains de ces moyens et la problématique de l’emploi de personnels civils étrangers en cas de réquisition des moyens.

 

C’est ainsi toute la question de la robustesse du système d’acheminements des approvisionnements – tant physique que cyber – que pose le général, alors qu’une des solutions tactiques proposées pour contrer la menace d’engagement majeur et de haute intensité est précisément la dispersion des forces pour en assurer une meilleure protection, laquelle nécessite encore davantage de moyens de transport...

 

 

Notes :

[1]  Général (2S) Laurent

[2]  Général Feola

 

Photo © anelb.com, 2024

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La transformation du MCO-A face au risque d’un engagement majeur et de haute intensité ou comment gérer le risque opérationnel

Par Murielle Delaporte - Série Conférences AD2S -

 

Introduction : synthèse du cycle de conférences AD2S

 

Cette synthèse est un prélude à notre série prochaine reprenant les idées forces des trois jours de conférence particulièrement riches qui ont eu lieu lors du Salon AD2S du 25 au 27 septembre dernier.

 

Lors de la première journée du cycle de conférences AD2S, cycle axé sur la transformation du maintien en condition opérationnelle aéronautique (MCO-A) face au risque de convergence d’un conflit de haute intensité et d’engagement majeur, les intervenants des deux panels de cette journée se sont tous accordés pour souligner un véritable « changement de paradigme opérationnel » avec une dynamique de recours à la force marquant le recul de l’ordre international de l’après- seconde guerre mondiale.


Agilité, robustesse, connectivité (avec un impératif de MCS pour « maintien en condition de sécurité »), innovation, mais aussi dispersion des moyens aéronautiques et entraînement adapté doivent permettre de faire face à la perspective d’engagements de grande violence et au spectre de l’attrition, auxquels tous les acteurs du MCO-A doivent se préparer pour aller à l’essentiel : la « gestion du risque opérationnel ».


De l’avis des participants, un changement d’état d’esprit est ainsi requis d’autant que le formatage des équipes industrielles depuis une quinzaine d’années est davantage orienté vers la prévention des pannes plutôt que de trouver des solutions rapides de régénération de matériels éprouvés par les dommages de guerre. Des solutions existent déjà qui ne demandent qu’à être mises en place, mais le maître-mot à retenir est la nécessité d’une approche collective au sein de l’écosystème du MCO-A.


La seconde journée de ce cycle de conférences AD2S s’est focalisée sur l’innovation dans le domaine du MCO-A face au double-défi d’un cadre budgétaire contraint et de contrats opérationnels évolutifs allant de la posture permanente de sûreté aérienne à de potentiels engagements majeurs et/ou de haute intensité. Le maître-mot à retenir en ce qui concerne cette seconde thématique, c’est le poids de la donnée dans les innovations en matière de MCO. Maîtriser son exploitation via l’automation représente en effet une opportunité, octroyant notamment aux maintenanciers un gain en temps et en efficacité opérationnelle dans la mesure où elle leur permet de se recentrer sur leur cœur de métier.


Mais une telle ambition constitue également un défi à part entière tant le volume de données captées est impressionnant. A titre d’exemple, sur les 200 000 capteurs qui produisent de la donnée sur un A400M, seules 5 000 informations sont exploitées. Or la donnée – surtout si elle est astucieusement associée aux avancées en matière d’intelligence artificielle - est ce qui permet les innovations dans de multiples domaines allant de la maintenance prédictive à l’analyse de l’empreinte carbone, objet du second panel de la journée.


Les experts réunis au sein de ce dernier ont pu démontrer, sur la base de cas très concrets, qu’il est possible de concilier transition énergétique et performance opérationnelle : hybridation des moteurs, mais aussi remplacement de la flotte d’Alpha jets par des PC21 turbo-propulsés (lesquels améliorent la préparation des Aviateurs à la gestion des systèmes embarqués tout en contribuant à la décarbonisation) sont parmi les nombreux exemples cités. Parmi les obligations d'innovations, et parfois dans des délais courts, le respect du Règlement REACH de l’Union européenne (lequel interdit certaines substances chimiques préoccupantes pourtant essentielles dans le domaine de l’aéronautique et du MCO-A) fait partie des défis à relever. Institutions militaires et industriels ne ménagent en tout cas pas leurs efforts pour faire avancer les recherches pour concilier objectifs de durabilité et efficacité opérationnelle, lesquels s’ils s’avèrent à première vue contradictoires, s'avèrent possible et même convergents, ainsi qu’en ont témoigné les exemples concrets cités par les panélistes.


La thématique de la troisième journée de ce cycle de conférences reflétait l’accueil des jeunes sur la BA106, puisqu’il fut question de recrutement, de formation et de fidélisation. Le premier panel réunissait des experts venant de mondes très différents (militaires de l’armée de l’Air et de l’Espace, universitaires, industriels, associations - avec en particulier l’association BAAS -, mais aussi France Travail) tous au diapason dans leur diagnostic d’un marché caractérisé par une reprise de l’activité et une offre d’emplois particulièrement dynamiques, mais aussi par la difficulté à recruter au sein du segment « Bac Pro – Bac + 2 ».


Si l’armée de l’Air et de l’Espace, qui doit recruter 4000 jeunes par an (dont 800 sergents, sous-lieutenants et lieutenants dédiés MCO-A), peine à faire comprendre qu’il existe d’autres métiers que celui de pilote, l’industrie, elle, doit faire face à des carnets de commandes qui s’envolent et à une pénurie d’avions tant dans le domaine civil que dans le domaine militaire.


Une des différences par rapport à il y a dix ans est notamment la nécessité d’« aller au-devant des candidats » et de fidéliser la génération Z. Si la formation – objet du second panel de cette dernière journée - « vient servir l’emploi », elle se heurte à deux écueils :

  • d’une part, la rançon du succès de formations particulièrement efficaces conduisant les jeunes Bac Pros à poursuivre leurs études pour devenir ingénieurs – donc ne comblant pas les besoins en compagnons et techniciens – ;
  • et d’autre part, la fatigue des tuteurs et le manque de ressources de certaines entreprises pour accompagner apprentissage et alternance.

 

Virtualisation, simplification administrative et modularité font partie des solutions qui ont été évoquées pour permettre une accélération des formations, laquelle serait capable, en toute sécurité, de faire face tant aux besoins MCO-A d’aujourd’hui qu’aux exigences d’une montée en puissance rapide si la perspective d’un conflit majeur et de haute intensité devait devenir réalité.

 

Photo © M. Delaporte

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Cycle de conférences AD2S 2024 : « un fil rouge dicté par les problématiques sécuritaires actuelles »

Par Murielle Delaporte - Entretien avec le général (2S) Jean-Marc Laurent, responsable de la chaire Défense & Aérospatial à Sciences Po Bordeaux, qui en a assuré la conception

 

Héritier de l’ADS Show créé en 2012, l’AD2S reprend le flambeau de ce salon aéronautique singulier. Singulier par sa conception, fruit d’une coopération entre le ministère des Armées et la Région Nouvelle-Aquitaine, mais aussi par sa thématique qui met en relief, conjointement, l’activité technico-opérationnelle de l’aérien civil, militaire et dual. Comme son prédécesseur, AD2S va se tenir fin septembre sur la Base aérienne de Mérignac et devrait réunir plus de cent cinquante exposants et de nombreux visiteurs nationaux, européens et internationaux.


Comme de coutume également, l’événement inclut des démonstrations techniques des forces de la troisième dimension, issues de toutes les armées et représentatives des activités en opération. Ces démonstrations impliqueront aussi l’industrie nationale de défense dont le rôle capacitaire est central. En France, la Base industrielle et technologique de défense (BITD) n’est pas seulement un fournisseur de capacités, elle est un acteur à part entière de la posture nationale de défense.


Le salon proposera par ailleurs un cycle de deux conférences quotidiennes rassemblant de nombreux panélistes issus des mondes militaire, industriel et universitaire, français et européens. Le fil rouge du « Cru 2024 » reflète les problématiques sécuritaires qui animent le monde d’aujourd’hui, à savoir la résurgence d’un conflit majeur à haute intensité (nous dirons conflit M&HI). Distinguons en effet conflits majeurs et conflits à haute intensité. Les premiers ont un impact définitif sur l’ordre géopolitique mondial. Ce fut le cas des grands conflits mondiaux du XXème siècle à l’issue desquels rien n’était « plus comme avant ». La Guerre froide entre aussi dans cette catégorie, même si l’intensité ne s’est traduite que dans des guerres régionales ou des postures de défense en Europe. A l’inverse, certaines confrontations peuvent être de haute, voire très haute intensité, sans constituer pour autant un tournant majeur pour l’humanité. En outre, cette forte intensité n’est pas toujours perçue ou vécue de la même façon dans tous les milieux. Ainsi, le Kosovo consacra la haute intensité dans l’aérien et l’Afghanistan plutôt dans le terrestre. Mais ces deux engagements, aussi durs furent-ils parfois, ne bouleversèrent pas la face du reste du monde.


Aujourd’hui, la crainte de nos sociétés occidentales est que leurs armées aient à affronter un conflit à la fois majeur et de haute intensité face à un compétiteur international décidé à employer la force pour imposer un modèle politique ou sociétal ou pour réagir à une pression économique mondiale. Cette crainte se double d’une inquiétude quasi existentielle pour nos armées françaises et européennes qui ont été particulièrement impactées par trois décennies de contraction capacitaire au nom de dividendes d’une paix illusoire ou de maîtrise budgétaire dont on connaît le malheureux résultat. Tous les forces militaires ont été touchées, celles de l’aérien entre autres. En la matière, le Maintien en Condition Opérationnelle Air (MCO-A) a été fortement sollicité. Confronté à des transformations parfois déstabilisantes, il a, par ailleurs, été soumis à une forte activité dans de nombreux théâtres opérationnels.


Toute la question à laquelle ce cycle de conférences se propose de répondre est de savoir comment anticiper et préparer l’écosystème aéronautique, civil et militaire, à ce choc éminemment brutal que constituerait un conflit M&HI (voir programme >>> Programme - AD2S Aerospace & Defence Support and Services (bciaerospace.com)

Le premier panel, prévu le 25 septembre au matin et intitulé « Le MCO aéro de défense confronté à une conflictualité majeure », doit permettre de traduire la notion de conflit M&HI en réalité opérationnelle et technico-opérationnelle : intensité du soutien technique, impact de l’inévitable dispersion des forces et des flux logistiques, risques d’attrition ou dommages de guerre, etc. En cela, les OPEX connues depuis trois décennies ne peuvent servir de référence directe. Si certaines ont connu des phases HI, parfois dures et cruelles, elles ne l’ont été que par phases, et pas de façon semblable dans tous les milieux d’engagement. Et même si elles ont donné lieu à des actions opérationnelles remarquables, à des actions de bravoure incomparables et si trop de valeureux soldats y ont donné leur vie, elles n’ont pas pour autant affaibli les armées occidentales au point de s’interroger sur leur existence même. Se concentrant sur le domaine aérien, les intervenants de ce panel, officiers généraux issus des forces françaises et alliées, dresseront un tableau des conséquences technico-opérationnelles qu’un conflit de type M&HI serait susceptible d’entraîner, en particulier sur le plan du MCO-A et ils évoqueront les stratégies mises en place ou envisagées pour y faire face.


L’après-midi, un second panel intitulé « Une économie du MCO Aéro qui se prépare au conflit » se concentrera sur la traduction industrielle de ce que signifie une montée en puissance de l’effort de guerre dans les institutions ou structures qui produisent ou gèrent du soutien technique : adaptation des relations Etat-Industrie, évolution des paramètres de production, animation d’une Supply-Chain de « combat », approvisionnement en ressources stratégiques, gestion logistique pour nourrir les flux vers les forces, mise en condition du corps social, etc. De hauts responsables de la DMAé, du SIAé, de la DGA et des dirigeants industriels d’Airbus Helicopters, de Dassault Aviation, de Sopra Steria et de Thales partageront leurs regards sur les stratégies industrielles à innover et sur l’anticipation en cours des appareils de production de la BITD aérospatiale, en particulier dans le domaine du MCO-A. Le panel sera donc totalement complémentaire et indissociable de celui du matin.


La seconde journée, le 26 septembre, se concentrera sur l’innovation dans le domaine du MCO-A mais au travers de ses effets militaires. Innover pour combattre !

 

Un premier panel sera ainsi intitulé « L’innovation dans le MCO Aéro, facteur de puissance aérienne » proposera des stratégies d’innovation dont les natures révéleront assurément l’étendue du besoin en la matière. Qu’elles concernent les domaines logistique, technique ou encore digital, elles seront associées des exemples concrets qui montreront comment l’innovation en matière de MCO aéro peut faciliter l’acte de MCO, mais aussi accroître la puissance aérienne. A cet égard, l’objectif est de montrer que, sans chercher à compenser la masse opérationnelle que seul permettrait un franc et durable effort budgétaire, l’innovation peut toutefois accroître les effets militaires et la résilience des forces et, in fine, concourir à faire la différence sur le terrain. Des exemples concrets seront proposés par les intervenants issus de l’innovation de défense (DGA-AID), des forces ou de la BITD.


Le second panel fera un focus sur les innovations du MCO aéro dans le domaine du développement durable. Toutefois, et de façon à répondre à l’enjeu du cycle de conférences, il s’agira de mettre en exergue les innovations permettant, simultanément, de réduire l’impact environnemental des systèmes d’armes, et autres outils techniques de l’aérien, tout en augmentant leurs puissances opérationnelles. Pour bien comprendre la finalité du panel, citons l’exemple des moteurs d’avions de combat qui, par une moindre consommation liée à l’innovation, permettent de réduire leur impact environnemental, mais aussi d’accroître les durées d’engagement (playtime) sur une zone d’intervention et, donc, leur performance opérationnelle. Les intervenants, des forces armées et de l’industrie aérospatiale, présenteront des exemples concrets de ce type de développement « gagnant-gagnant ».


Enfin, une troisième journée de conférences, le 27 septembre, sera dédiée à la dimension humaine avec un premier panel portant sur « le défi de l’emploi et du maintien des compétences dans le MCO-A ». Les problématiques d’emploi, de recrutement, de fidélisation, de féminisation, etc. sont d’ores et déjà cruciales, voire problématique dans l’aérien, civil ou militaire. En cas de confrontation M&HI, l’ampleur du défi humain sera encore plus grand et celui lié au MCO-A le sera encore plus. Le panel, composé d’experts civils et militaires des ressources humaines et de l’emploi dans l’aérospatial, va s’efforcer d’une part de dresser un état des lieux en la matière, et d’autre part d’offrir une perspective. Il tentera ainsi de répondre aux questions suivantes : Comment rendre attractif les métiers de l’aérien et comment fidéliser les ressources recrutées ? Comment intégrer des générations nouvelles dans un écosystème où, dès le temps de paix, le collectif prévaut sur l’individualisme et où, en temps de conflit, son sort personnel doit laisser place à un engagement obligé et exigeant ? Comment, du fait d’un conflit M&HI, passer à une posture qui altèrera profondément l’organisation du travail ? Etc.


Produire des techniciens de l’aéronautique, et en particulier du MCO, à niveau de qualité et de performance égales, mais plus vite, pour répondre à l’intensification des opérations militaires, requiert d’innover en termes de formation, tant initiale que continue, tant au sein des Armées qu’au sein des entreprises. Ce défi sera l’objet de ce dernier panel AD2S qui tentera de dévoiler des stratégies de formation permettant de réduire les temps d’apprentissage tout en garantissant la qualité des techniciens produits. Ce panel cherchera également à savoir ce qu’il est possible de faire en matière de formation MCO-A pour qu’accélération ne rime pas avec moindre qualité, mais augmentation de capacité opérationnelle dans l’industrie comme dans les forces. Il donnera la parole à des formateurs de l’aérospatial, civil et militaire, qui interviennent à différents niveaux et stades de formation (écoles, centres, entreprises) et mettent en œuvre des stratégies d’enseignement, des outils pédagogiques et des relations enseignants-apprenants en mesure de répondre à l’enjeu. Au-delà de la pédagogie, seront aussi abordées les questions normatives, dont la navigabilité, face au besoin potentiel de les adapter à une circonstance conflictuelle.

 

En synthèse, ce cycle de conférences s’inscrit totalement dans les enjeux stratégiques du contexte actuel marqué par l’évidente fragilité de la Paix internationale. Il se veut regarder la réalité en face et être une contribution, même modeste, à l’anticipation nationale face à un conflit majeur et à haute intensité. S’il se concentre sur la dimension aérospatiale et, en particulier, à son axe MCO, les échanges qui y prendront place pourront assurément se transposer à d’autres milieux, de la même façon que le RETEX de ces derniers enrichit les réflexions MCO-A.

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Archives - LE CSFA : « COMBAT PROVEN » (II de II)

 

Photo : soutien logistique pendant Serval © EMA / ECPAD
(telle que publiée dans >>> https://operationnels.com/2014/05/12/dans-les-coulisses-de-serval-assurer-le-soutien-logistique-dans-le-brouillard-de-la-guerre/)


Par Murielle Delaporte - Entretien avec le Général de corps aérien Jean-Marc Laurent, Commandant du Commandement du soutien des forces aériennes (réalisé en 2014)

 

Cette seconde partie se concentre sur le retour d’expérience de l’opération Serval menée au Mali en 2013 et le rôle du CSFA pendant la durée d’une mission très particulière en raison de la nature du théâtre.

 

L’arme aérienne a été essentielle pour réussir la première phase de Serval : quel premier bilan faites-vous de cette opération particulièrement exigeante ?

 

Serval, pour l’armée de l’Air et de façon plus pragmatique pour les forces d’appui aéronautique, a constitué un défi extraordinaire et un engagement où les qualités du combattant que sont l’expertise, l’efficacité, la robustesse et la résilience se sont révélées indispensables, mais aussi parfaitement maîtrisées. Le théâtre et l’engagement, vus des techniciens, ont présenté des caractéristiques spécifiques en termes d’élongation et de modes opératoires. Contrairement à l’Afghanistan et à la Libye, il nous a fallu opérer sur des distances intra théâtre considérables et avec un dispositif aérien particulièrement étendu qui a considérablement complexifié le fait logistique pour lequel la pénurie historique en moyens de transport aérien (stratégique ou tactique) n’arrange rien.

 

En effet, le théâtre malien est, comme en Afghanistan, un théâtre enclavé au cœur d’un vaste continent. Dans ces conditions, les capacités de ravitaillement logistique par les airs sont, pour des raisons d’accessibilité mais aussi de réactivité, les plus pertinentes et celles qui répondent plus directement aux enjeux politiques et sécuritaires. L’opération dans cette région subsaharienne a aussi été marquée par son architecture opérationnelle s’appuyant sur plusieurs sites qui couvrent une large partie du Sahel. La médiatisation des opérations se concentre souvent sur les zones les plus « chaudes » de l’engagement de nos forces nationales, mais il faut comprendre qu’une opération aérienne implique un espace de dimension continentale ou, pour le moins, subrégionale qui structure profondément leur réponse opérationnelle.

 

Ainsi, si le Mali est le point de focalisation des effets militaires, l’action des forces aériennes, et singulièrement des forces d’appui, doit se comprendre dans un vaste réseau de bases de théâtre qui interagissent ensemble et qui relèvent d’une architecture opérationnelle interconnectée (à l’image, d’ailleurs, du réseau des bases aériennes de métropole). Le CSFA a donc dû faire face, dans les domaines d’actions qui sont les siens, à cette amplitude du champ opératoire et chaque mouvement de systèmes d’armes de France vers le Sahel ou d’un site du théâtre vers un autre a répondu à une logique d’ensemble qui impose une approche globale du théâtre et rejette, pour ce volet aérien, toute segmentation par pays ou forme d’engagement (coexistence de trois opérations régionales aux objectifs initiaux différents : Epervier, Serval et Sabre).

 

Cette capacité de gestion technico-opérationnelle globale est une des forces du CSFA. Bien entendu, il n’est pas seul, ne s’arroge pas l’intégralité du succès opérationnel de l’opération et a œuvré en parfaite observance des orientations données par les pilotes opérationnels (CPCO- centre de planification et de conduite des opérations – et CDAOA – commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes -), et en intelligence avec les structures de conduite du soutien (CICLO – centre interarmées de conduite logistique opérationnelle -, CMT – centre multimodal du transport -), les prestataires aériens opérationnels (dont l’EATC – European Airlift Transport Command -) et les services de soutien partagé. 

 

Si la géographie a conditionné l’action des forces d’appui opérationnel de l’armée de l’air, les modes d’action ont aussi été déterminants dans la façon d’appréhender le soutien opérationnel de Serval. En Afghanistan, le dispositif aérien français s’est déployé progressivement en périphérie du théâtre (Kirghizstan, Tadjikistan et EAU) en développant des structures d’appui robustes (je pense entre autres à Manas que j’ai eu l’honneur de commander). Elles ont permis d’accroître graduellement la pression sur l’adversaire. Puis, la France a investi des bases aériennes coalisées du pays qui sont devenues des centres d’activité opérationnelle dont la capacité et les moyens resteront des références historiques (en particulier, Kandahar ou Bagram).

 

En Libye, le dispositif aérien a effectué, de façon nouvelle depuis la seconde guerre mondiale, des missions de combat «aller et retour» depuis le sol national (continent ou Corse). Cette période initiale a permis aux forces de soutien opérationnel du CSFA de conjuguer à la fois un appui aux opérations en cours, et de préparer les redéploiements du dispositif qui allaient s’opérer au plus près de la Libye (Souda en Crête et Sigonella en Sicile). Si l’opération Harmattan a été marquée par une accélération considérable du processus opérationnel (par rapport à l’Afghanistan) et par une course permanente contre la montre, le déroulement du processus opérationnel s’est néanmoins fait de façon échelonnée et la projection de puissance d’une part, et de forces d’autre part, s’est faite dans un ordre opérationnel favorable en projetant l’appui opérationnel de sites en sites avant que les opérateurs de systèmes d’armes (équipages et techniciens, entre autres) s’y installent. A cet égard, on peut se féliciter d’un mécanisme technico-opérationnel parfaitement huilé qui n’a jamais connu la moindre interruption opérationnelle, ni le moindre day-off durant les huit mois de l’engagement.

 

Pour Serval, la situation opérationnelle a été quelque peu différente et a constitué un challenge aussi nouveau que singulier pour les forces d’appui. Si les premières missions aériennes ont été déclenchées, comme pour Harmattan, avec un délai qui se compte en heures, les projections de puissance et de forces se sont faites simultanément car les Rafale partis de Saint-Dizier se sont posés en Afrique avant leurs techniciens, même s’ils ont profité de l’appui offert par la base de N’Djamena. Il a donc fallu beaucoup d’ingéniosité, de pragmatisme mais aussi d’énergie et de détermination aux échelons techniques d’appui pour « suivre et appuyer » la manœuvre et l’anticiper autant que faire se peut. Il en a été de même pour les redéploiements sur Bamako et autres aérodromes régionaux pour lesquels la contraction du temps entre la projection des aéronefs et la manœuvre logistique a été extrême et s’est conjuguée, en outre, à un déploiement terrestre d’ampleur qui n’existait pas pour Harmattan et n’avait pas été conçu de la même façon en Afghanistan.

 

Le CSFA a toujours été proactif dans la manœuvre et on se rappellera que les premiers aviateurs sur le sol malien comptaient principalement des techniciens de ce commandement. L’opération Serval aura donc été marquée par une nouvelle accélération du temps opérationnel qui s’est poursuivie tout le long de l’engagement. En effet, après l’entrée en premier réalisée par l’armée de l’air, les forces au sol (dont un certain nombre d’aviateurs des unités du génie aérien du CSFA) ont progressé vers le Nord du Mali avec rapidité et puissance dans un environnement rustique et non sécurisé. A cet égard, je me félicite de la façon dont les combattants techniciens de l’armée de l’air se sont comportés dans l’engagement dans les régions de Gao et de Tessalit où ils ont permis que les forces terrestres et aériennes progressent avec le soutien logistique nécessaire.

 

Enfin, Serval a été le cadre d’un engagement simultané de toutes les composantes aériennes de l’armée de l’Air et avec une activité particulièrement dense pour toutes. Si comme dans les autres opérations, l’aviation de combat a été au premier plan de la projection de puissance, avec un système d’armes Rafale qui continue de révolutionner le combat depuis les airs avec une efficacité et une adaptabilité exceptionnelles, l’aviation de transport a eu son heure de gloire avec des opérations aéroportées remarquables de conception et de réalisation et les systèmes de drones ont montré combien ils apportaient une nouvelle dimension à l’action politico-militaire. Derrière ces systèmes, des techniciens se sont battus et ont donné le maximum d’eux-mêmes pour extraire de nos vieux Transall à bout de souffle l’énergie opérationnelle nécessaire et de nos rares drones Harfang la disponibilité qui leur permet d’agir pendant des dizaines d’heures de façon ininterrompue.Voilà donc le premier Retex succinct que je fais en concluant avec ces trois points que je considère fondamentaux :Serval a avant tout mis en exergue des hommes et des femmes extraordinaires capables de l’impossible et qui s’évertuent à extraire le meilleur des systèmes d’armes avec des ressources et un contexte logistique sévères.


Serval, c’est aussi une organisation du Soutien opérationnel qui a confirmé son caractère Combat Proven. Mon souci est qu’elle conserve sa pertinence et sa cohérence malgré les tensions budgétaires et la tentation, pour certains, d’y détecter quelques économies aussi improbables que de court terme. Car, le soutien opérationnel n’est pas un élément d’environnement de la capacité militaire, il en est la substance même. Il faut même se convaincre que, dans l’aérien, «l’intendance» opérationnelle ne suit pas l’engagement des forces, mais qu’elle doit au contraire le devancer et que de sa puissance naît celle des effets militaires. Son concept et son organisation doivent donc s’inscrire dans ce principe absolu.


Enfin, pour terminer en se projetant dans l’avenir et le préparer, les forces d’appui doivent poursuivre leur maturation opérationnelle. Elles doivent imaginer et concevoir le soutien opérationnel de demain qui doit envisager des engagements toujours plus réactifs, plus éloignés, plus durs, plus complexes. Elles doivent en particulier poursuivre leur combat contre le temps dont l’échelle ne se compte plus en jours ou en semaines mais résolument en heures. Elles doivent rechercher et adopter les meilleurs facteurs de robustesse et de résilience. Elles doivent enfin, comme je l’ai en permanence exigé de mes unités, toujours combattre et raisonner en effet opérationnel à atteindre avant de penser production technique de soutien.

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