Plan d’entretien et de référence des aéronefs militaires : « Passer à un PRE de combat » (II de II)
Par Murielle Delaporte - Temps forts du second panel intitulé « Une économie du MCO aéro qui se prépare au conflit » (II)
Cette seconde partie de notre article sur les temps forts du second panel de la première journée de conférences AD2S porte sur les trois autres axes d’adaptation évoqués par les panélistes, à savoir :
- l’optimisation de solutions déjà existantes grâce à l’existence d’une base industrielle à double-usage ;
- l’urgence d’alléger le carcan réglementaire du temps de paix afin d’optimaliser le ratio entre heures de maintenance et heures de vol pour réduire le temps d’immobilisation des aéronefs ;
- l’autonomie nationale en termes de ressources, condition essentielle pour faire face à la HI.
2. L’avantage d’une base industrielle « à double-usage » civilo-militaire
Côté industriel, Olivier Tillier, en charge du soutien chez Airbus Helicopter (MSCF pour « Military Support Center »), a tenu à souligner qu’il dirigeait une équipe de 600 personnes dont la vocation est avant tout de « soutenir ceux qui nous protègent ».
Si de nombreuses solutions pour faire face à la HI demeurent « à explorer », Olivier Tillier a mis en avant deux atouts déjà en place :
- l’existence de flottes externalisées constitue un « outil complémentaire de régénération et d’accroissement de disponibilité » et un pas vers un investissement très opérationnel de l’industrie ;
- la spécificité d’Airbus Helicopters qui est de pouvoir s’appuyer sur une chaîne d’approvisionnement dédiée à des flottes duales facilitant la récupération de pièces de rechange et l’accélération de la cadence de production et de réparation en cas de besoin.
Il a cependant relevé un certain nombre défis pour être à la hauteur du challenge que représente la HI, parmi lesquels :
- la poursuite de la cartographie des vulnérabilités en termes d’approvisionnement, une démarche déjà initiée en lien avec la DMAé et l’industrie en général et qui a permis d’identifier déjà un certain nombre de cas concrets ;
- certains sujets d’ordre réglementaire, tels que l’utilisation de pièces d’autres utilisateurs (notamment en ce qui concerne le NH90 par exemple) ;
- la nécessité de « retravailler les lots de déploiement » ;
- la gestion des risques : une réflexion à conduire sur la possibilité de « décaler ou de faire fi d’un acte de MCO » et de définir le niveau de risque acceptable en matière de maintenance préventive dans un contexte de haute intensité font partie des questions auxquelles les industriels doivent aujourd’hui apporter des réponses.
Un RETEX des manuels de guerre détaillant les réparations de dommages de guerre en haute intensité est nécessaire, tandis que le travail collaboratif en cours de développement permettrait d’aller au-delà des liens contractuels en fomentant des partenariats privilégiés porteurs d’un « partage de bonnes idées » efficace et propice à une montée en puissance coordonnée.Bruno Chevalier, DGSM chez Dassault Aviation, est allé dans le même sens que son homologue de chez Airbus Helicopters en soulignant le caractère dual des activités de sa société avec 8 à 900 personnes dédiées à la mise en œuvre de quelque mille aéronefs depuis quarante ans.
Dassault peut ainsi s’appuyer sur une forte expérience et une bonne réactivité encore « montée d’un cran pendant le COVID », mais la haute intensité représente un nouveau défi nécessitant un engagement massif et une régénération devant s’inscrire dans la durée.
Il est donc indispensable de son point de vue de faire travailler tous les acteurs du MCO ensemble, pour d’abord éviter les doublons et ensuite travailler en bonne complémentarité entre industriels, la DGA et le SIAé.
Il s’agit de moderniser les guides de réparation établis par le passé en intégrant les nouvelles méthodes disponibles aujourd’hui et réhabiliter une politique de stocks adaptée à l’évolution du champ de bataille.
La difficulté pour accroître la cadence de production et de régénération est plus d’ordre d’ingénierie, mais la dualité de production aéronautique dont bénéficie Dassault est à même de faciliter la reconversion du domaine civil au domaine militaire en cas de nécessité. Atout majeur, si les aéronefs ne sont pas tous interchangeables, « les ressources humaines, elles, le sont en fait déjà », conclut ainsi Bruno Chevalier.Pour Emeric Tamboise, vice-président soutien et service client pour l’aéronautique militaire chez Thales, l’axe d’effort se situe à trois niveaux :
- la résilience industrielle avec la mise en œuvre des plans de continuité d’activité prévus en cas de crise, que celles-ci s’avèrent d’ordre cyber ou liées à des menaces physiques : la sécurisation des sites est ainsi un sujet majeur face notamment à « l’épidémie d’incendies qui sévit depuis deux ans et demi ».
- La montée en cadence et en puissance qui s’est déjà traduite, chez Thales, par un accroissement des investissements avec 750 millions d’euros dédiés pour l’amélioration des sites et des compétences (CapEx) et « une augmentation RH de 30% en trois ans ». Dans le domaine du soutien Thales compte 1000 personnels répartis sur 52 sites. « Travailler sur les compétences » en développant en particulier les polycompétences est, pour Emeric Tamboise, essentiel pour faire face aux différences de génération des équipements : « entre deux radars conçus à trente ans d’écart, le seul point commun est le mot « radar »… », explique-t-il.
- L’« aide à la mobilité des forces armées » par tous les moyens possibles : simulation de crise permettant d’entraîner les équipes de Thales; adaptation opérationnelle des lots de maintenance ; production flexible des rechanges « en fonction des scénarios d’attrition » ; flexibilité du temps de travail des équipes organisées en 2 x 8 ou 3 x 8 pour s’adapter au besoin des forces ; etc.
Il s’agit là d’une partie des sujets qui sont en cours d’examen au sein de Thales pour répondre au mieux à l’évolution du contexte sécuritaire.
3. L’urgence d’alléger le carcan des règlementations
Concluant ce second panel, Sébastien Fabre, directeur de programme MCO/MRO chez Sopra Steria, a, quant à lui, mis en avant l’ubiquité de la transformation digitale : qu’il s’agisse de la numérisation de la « Supply Chain », de la généralisation de la simulation, de l’utilisation du traitement de données dans l’étude du cycle de vie des matériels ou encore l’obligation de traçabilité, « le numérique est partout » et « il n’est pas d’économie de guerre sans lui ».
Si la digitalisation constitue une faiblesse majeure en termes de cyber sécurité, il n’y aura pas de « retour au papier » et les équipes de Sopra Steria ont beaucoup travaillé sur ces questions. La société est aujourd’hui en état de fournir des « solutions pour passer dans l’ère du PRE (Plan de réparation et de référence) de combat ».
Un des critères reconnus de l’économie de guerre est d’être en mesure de consacrer au moins 30% de son PIB à la défense. Actuellement, nous ne sommes donc pas vraiment en économie de guerre. En revanche il est possible de travailler sur la gestion du risque opérationnel et de sortir d’un cadre normatif associé à la navigabilité mais peu adapté aux hypothèses de haute intensité.
Il convient, pour Sébastien Fabre, d’équilibrer les considérations de réparation, entretien et remise en vol avec les risques associés à la mission. L’exercice Orionis, mis en œuvre par l’armée de l’Air et de l’Espace, et l’action des pôles de conduite et de soutien permettent de développer un langage commun entre acteurs du MCO et de « trouver des solutions ensemble ».
Le numérique est, en soi, un outil d’optimisation et source d’innovation à plusieurs niveaux :
- en améliorant l’utilisation des ressources et affinant le ratio entre heures de maintenance prédictive et heures de vol ;
- en se servant de la numérisation 3D pour apporter des solutions de réparation en cas de dommage de combat : le modèle numérique peut ainsi contribuer à « trouver la rustine qui permettra d’effectuer x heures de vol ».Tous les panélistes se sont de fait accordés sur le fait qu’il était urgent et possible de travailler ensemble « avec la DGA, la DMAé et les bureaux d’études des industriels » pour « alléger le carcan des règlementations »[1] et « mettre en œuvre ce qui est déjà possible en éliminant les doublons », ce qui permettrait un double-gain en temps et en argent[2].
Pour Olivier Tillier, un Plan de Réparation et de Référence - PRE - « de combat ou de guerre » peut devenir réalité « à iso-risque » en définissant le niveau de risque induit par la diminution du temps de vie d’une pièce. Pour lui, les « rustines » existent déjà au travers de solutions techniques simples. Il convient en définitive de construire un modèle de « maintenance juste » basé sur un cercle vertueux selon lequel « moins de maintenance entraînerait une moindre consommation de pièces ».
4. L’autonomie nationale, condition essentielle pour faire face à la HI
Dernier point évoqué dans le cadre de la session de Q & A, la nécessité de « créer un environnement souverain pour fournir les services au bon endroit au bon moment »[3], l’« autonomie nationale, étant essentielle pour faire face à une hypothèse HI »[4].
Les faiblesses de la « Supply Chain » identifiées par la DGA sont issues des délocalisations conséquences des contraintes budgétaires et boursières, ainsi que de la « volonté assumée de recherche de bas coûts, de mondialisation des échanges, de politique d’offsets, etc »[5]. Aujourd’hui, nombre d’efforts sont en cours pour inverser cette tendance : « 50 projets de relocalisation en France », ainsi que le développement de la réserve industrielle de défense, font ainsi partie des initiatives entreprises par la DGA à l’heure actuelle[6].
Mot de la fin d’Emeric Tamboise : être prêts pour la HI implique aussi un changement radical de mentalité. Pour ce dernier, la recherche de la performance industrielle, opérationnelle et économique a en effet conduit jusqu’à présent les acteurs du MCO à trouver des solutions pour « faire en sorte que la panne ne revienne pas » : si passer en « mode « gestion du risque opérationnel » est nécessaire, car« les exercices HI prouvent que nous ne sommes pas prêts », une telle transition s’avère perturbante pour les équipes, en ce sens qu’il s’agit là d’un « changement radical » en termes de mentalités et de « formatage depuis quinze ans » à l’opposé de l’ « ADN HI »…
Notes
[1] Bruno Chevalier
[2] Olivier Tilllier
[3] Sébastien Fabre
[4] IGA Yannick Cailliez
[5] Général (2s) Jean-marc Laurent
[6] IGA Thierry Rouffet
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