Le MCO aéronautique face à l’hypothèse d’un engagement majeur et de haute intensité : de la nécessité d’un changement d’état d’esprit (I de II)
Par Murielle Delaporte - Temps forts du premier panel intitulé « Le MCO aéro confronté à une conflictualité majeure » (Partie I)
Ce panel était animé par le général de corps d'armée aérien (2S) Jean-Marc Laurent, fondateur et responsable de la Chaire Défense & Aérospatial, Sciences Po Bordeaux, et réunissait (dans l’ordre de leurs interventions) :
- Le contre-amiral Hervé Lamielle, chef de la division soutien de l’activité de l’état-major des Armées ;
- le général de division aérienne Julien Sabéné, commandant en second du CTAAE (commandement territorial de l’armée de l'Air et de l'Espace) ;
- le général de brigade aérienne Fabrice Feola, commandant du CSOA (centre de soutien des opérations et des acheminements) ;
- le général de brigade aérienne Etienne Gourdain, officier général « Nucléaire et Sécurité », état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace ;
- et par voie de vidéo, le général de division aérienne Rafael Gomez Blanco, directeur de l’ingénierie au sein du commandement logistique de l’armée de l’Air espagnole.
L’angle d’approche de ce panel était d’aborder la « problématique de la préparation et de l’anticipation face à l’hypothèse d’un conflit majeur et de haute intensité » tant d’un point de vue politico-militaire que de la « conception d’une posture opérationnelle et technico-opérationnelle » adaptée à un tel scénario [1].
Après avoir « planté le décor » de ce que représenterait un conflit majeur de haute intensité en termes militaires et de pression sur la chaîne MCO-A et avoir fait le constat des moyens et solutions mises en œuvre à l’heure actuelle, tous les participants se sont accordés quant à la nécessité d’insuffler un véritable changement de mentalité permettant aux avions et aux pilotes de voler au quotidien dès maintenant, afin d’« être au rendez-vous de la disponibilité » le moment venu [2].
Définition et impact de l’engagement majeur et de la haute intensité sur les forces : « intégrer le MCO à la manœuvre »
S’exprimant au nom de l’EMA (état-major des Armées), le contre-amiral Lamielle a présenté l’évolution du contexte stratégique comme une « accélération du monde » et un « accroissement des incertitudes » reflétant le recul de la vision occidentale d’un ordre international basé sur le droit et contraignant à un « changement de paradigme opérationnel » face à un recours à la force devenant plus fréquent et plus violent.
L’impact le plus immédiat pour les forces armées est la nécessité de changer également de paradigme entre « maîtrise et gestion du risque » face à l’hypothèse – susceptible de devenir une réalité à tout moment – d’un affrontement de forte violence s’inscrivant dans la durée « avec des dépassements de seuils au regard d’enjeux primordiaux, voire existentiels ». C’est la définition de la haute intensité par rapport à l’hypothèse d’engagement majeur, laquelle peut inclure des épisodes de haute intensité.
Fort d’une longue carrière dans le soutien aéronautique naval, le contre-amiral Lamielle estime ainsi que pour ce type d’interventions, le MCO ne doit pas être compris comme un simple accompagnement de la manœuvre, mais doit être totalement intégré à cette dernière. Qui dit MCO dit également MCS – maintien en condition de sécurité - des systèmes d’armes, dans la mesure où l’usage de la force est actuellement multi-milieux et inclut donc les champs immatériels (cyber et informationnel).
Le positionnement de la troisième dimension face à un engagement majeur de haute intensité : la question de la masse
Pilote de chasse, le regard du général Sabéné quant à l’impact d’un scénario d’engagement majeur et de haute intensité sur l’arme aérienne l’a conduit au constat suivant :
- L’histoire de l’AAE (armée de l’Air et de l’Espace) est faite de prise de risque et peut se résumer à la célèbre citation du père de l’Aviation, Clément Ader, laquelle dit : « Sera maître du monde qui sera maître de l’air ». Un constat maintes fois prouvé par les opérations aériennes menées depuis la première guerre mondiale et a contrario par l’absence d’emploi de son aviation militaire par l’armée russe dans le conflit qui l’oppose aujourd’hui à l’Ukraine.
- Mais le second enseignement de ce conflit est la nécessité de pouvoir compter sur la masse pour vaincre un adversaire symétrique : le coût croissant des avions militaires (selon les célèbres Lois d'Augustine, « un B2 coûte plus cher que son poids en or ») rend toute supériorité aérienne loin d’être acquise, la masse permettant de pénétrer les défenses A2AD (« Anti-Access / Anti-Denial ») étant aujourd’hui obtenue sur le champ de bataille ukrainien par l’explosion de la production de milliers de drones de part et d’autre, autre manifestation de la troisième dimension dans un contexte d’engagement majeur de haute intensité.
Si la notion de MCO est ainsi « à rapporter à des volumes », ainsi que l’a rappelé le général (2S) Laurent, il est un autre domaine tout aussi essentiel à ce dernier qui manque cruellement de masse, à savoir celui de la logistique indispensable au soutien.
Le général Feola, responsable des acheminements stratégiques en tant que commandant du CSOA, a ainsi souligné un effet ciseaux préoccupants caractérisé par d’une part « une augmentation des besoins en mobilité des forces » et d’autre part « une diminution des moyens de projection et de transport ».
Autre vulnérabilité qui concerne l’ensemble des forces armées, l’externalisation de certains de ces moyens et la problématique de l’emploi de personnels civils étrangers en cas de réquisition des moyens.
C’est ainsi toute la question de la robustesse du système d’acheminements des approvisionnements – tant physique que cyber – que pose le général, alors qu’une des solutions tactiques proposées pour contrer la menace d’engagement majeur et de haute intensité est précisément la dispersion des forces pour en assurer une meilleure protection, laquelle nécessite encore davantage de moyens de transport...
Notes :
[1] Général (2S) Laurent
[2] Général Feola
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