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A la recherche d’une « défense durable » conciliant efficacité opérationnelle et impératifs environnementaux (I de II)

26 février 2025 - Par Murielle Delaporte – Temps forts du quatrième panel du cycle de conférences AD2S intitulé « Le MCO aéro, acteur innovant du développement durable »

 

Animé par le général de Corps d'armée aérien (2S) Jean-Marc Laurent, fondateur et responsable de la Chaire Défense & Aérospatial à Sciences Po Bordeaux, ce panel réunissait les intervenants suivants :

 

  • l’ingénieur général de 2ème classe Luc Margotin, chef de la division Infrastructure et énergie opérationnelle au sein de l’ état-major des Armées ;
  • l’ingénieur général de l'armement Thierry Bellœil, directeur de l’atelier industriel de l’aéronautique (AIA) de Bordeaux relevant du SIAé ;
  • le général de brigade aérienne Etienne Gourdain, officier général « Nucléaire et Sécurité » au sein de l’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace ;
  • Gauthier Houel, responsable RSE au sein de la direction générale du soutien militaire (DGSM) chez Dassault Aviation ;
  • Christian Forestier, directeur de « Vertical Aeroline » chez Sopra Steria ;
  • François Doré, directeur général adjoint stratégie et innovation chez Sabena Technics.

 

L’enjeu de ce panel fut de mesurer dans quelle mesure la préservation de l’environnement et le concept de développement durable peuvent demeurer des priorités nationales sans pour autant remettre en cause l’efficacité opérationnelle des forces armées, non seulement en temps de paix  (phases de compétition, voire de contestation), mais dans l’hypothèse d’un engagement majeur et de haute intensité (phase de confrontation).

 

« Logique d’affrontement et normes environnementales ne doivent ainsi pas être contraires, mais à l’inverse tenter autant que faire se peut d’avoir des effets convergents », a souligné le général (2S) Laurent dans son introduction à cette thématique sur laquelle les panélistes se sont accordés pour confirmer la faisabilité d’un tel présupposé dans de nombreux cas, mais aussi pour reconnaître que de sérieux écueils existaient pour le moment pour pouvoir le généraliser à l’ensemble du secteur du MCO aéronautique.

 

La discussion entre acteurs étatiques et privés du MCO-A s’est ainsi construite autour des quatre grands axes suivants :

  1. L’impact environnemental sur les forces ;
  2. La sobriété énergétique ;
  3. L’économie des ressources ;
  4. La nécessité d’anticiper l’innovation MCO-A dans le domaine du développement durable.

 

 

  1. L’impact environnemental sur les forces

 

Représentant l’EMAAE, le général Gourdain a tout d’abord approché ce sujet du lien entre MCO-A et développement durable sous l’angle de la résilience et des nouveaux défis que le changement climatique tend à générer directement au sein des bases aériennes : « l’armée de l’Air et de l’Espace opère en effet depuis ses bases aériennes », qui doivent demeurer des « outils de combat performants » en faisant face aux dérèglements climatiques et au risque d’accroissement de la fréquence de phénomènes naturels type inondations et  incendies (tels celui dont a été récemment victime la base de Cazaux).

 

Cette résilience est d’autant plus importante que l’AAE est de plus en plus sollicitée pour répondre aux crises et porter secours aux sinistrés grâce en particulier à la polyvalence du MRTT qui peut changer de configuration pour contribuer à la gestion de crises directement issues du changement climatique, précisément « décrit par le CEMA comme étant catalyseur de chaos ». Des crises auxquelles les armées doivent se préparer.

 

La prise en compte du développement durable par l’AAE se fait également sentir au niveau sociétal, puisqu’il est dorénavant intégré à l’attractivité en matière de recrutement et de fidélisation : « les jeunes ayant une conscience aigüe de ces enjeux, il est naturel que nos activités sur notre lieu de vie – à savoir les bases aériennes -aient un impact le plus léger possible sur l’environnement ».

 

Si la mission primera toujours, il est logique de « faire des choix où la réduction de l’empreinte carbone peut aller dans le sens de l’opérationnel », a-t-il développé en citant l’exemple gagnant-gagnant de la flotte école où le remplacement de l’Alphajet, avion à réaction, par le PC21 turbo-propulsé a permis non seulement de réduire l’empreinte carbone, mais aussi d’améliorer la préparation opérationnelle en ce qui concerne la gestion des systèmes embarqués sur Rafale.

Il est d’autres cas où l’équilibre entre choix opérationnel et transition écologique demeure à trouver, comme par exemple l’utilisation des produits chimiques fluorés (Pfas) dans la lutte anti-incendie en cas de feux d’hydrocarbures. La pollution des nappes phréatiques est certes un problème, mais les pompiers doivent néanmoins être en mesure de s’entraîner, alors qu’on ne trouve pour le moment pas d’alternative à ces émulseurs …

 

 

  1. La sobriété énergétique

 

Commandant la division Infrastructure et énergie opérationnelle au sein de l’EMA, le général Luc Margotin doit avant tout « s’assurer que les forces disposent de l’énergie nécessaire pour leur entraînement et la réalisation du contrat opérationnel qui est le leur et peut inclure une hypothèse de conflit de haute intensité ».

 

Les besoins des forces en énergie se déclinent ainsi non seulement par type – carburants terrestres, navals, aéronautiques, mais aussi électricité dont la consommation sur le champ de bataille s’avère de plus en plus gourmande à mesure que numérisation et connectivité deviennent de plus en plus prégnantes dans les opérations[1] -, mais aussi selon l’emplacement géographique – territoire national vs opérations -.

 

A titre informatif, Christian Forestier, directeur chez Sopra Steria, a indiqué que l’empreinte carbone de l’activité digitale – au sens large du terme – était équivalente à celle du secteur aéronautique, à savoir qu’elle se situe entre 3 et 6%.

 

L’objectif de l’EMA est cependant de profiter des atouts offerts par le développement durable pour accroître l’efficacité opérationnelle des forces, notamment via l’hybridation des matériels, laquelle revêt aux yeux du général Luc Margotin trois avantages : « la décarbonation, l’accès à de nouvelles sources énergétiques intéressantes, l’amélioration des conditions de vie ».

 

C’est ainsi que les armées suivent la stratégie énergétique de défense initiée en 2020 et en particulier la trajectoire définie alors en matière de SAF (« Sustainable Aviation Fuel » ou carburant durable aéronautique) : en 2025, la teneur en biocarburants dans le domaine aéronautique est de 2% conformément aux objectifs, « le Service de l’énergie opérationnelle s’étant mis en ordre de bataille dès 2022 pour en acquérir ».

 

Le développement de bioraffineries sur le sol national est ainsi en soi un atout permettant d’accroître l’indépendance de la France – et donc l’autonomie des forces - en matière énergétique. Une telle évolution concerne les carburants, mais aussi les ingrédients (huiles, liquides hydrauliques, etc) – telle l’huile bio pour les moteurs à deux temps (dans le naval) et pour les moteurs à quatre temps (dans le domaine terrestre) -, à la fois plus verts et plus performants.

 

Dans le domaine aéronautique, le général Luc Margotin a également mis l’accent sur la rapidité du processus de qualification des aéronefs utilisant des carburants durables à hauteur de 50%. Des essais ont déjà eu lieu en 2023 avec un premier vol de NH90 doté d’un moteur à 84% SAF. Ces essais doivent se poursuivre à partir de 2025 en ce qui concerne les hélicoptères et les avions de chasse en vue de leur qualification par la DGA et l’EMA, la flotte de transport étant qualifiée selon le même processus que l’aviation civile par l’ASTM (« American Society for Testing and Materials ») : « cette qualification ASTM peut aller jusqu’à des moteurs 100% SAF à l’horizon 2026 en vue de leur généralisation en 2030 », a-t-il précisé.

 

Même s’il est encore un peu tôt pour tirer des conclusions définitives en matière de MCO-A car toutes les mesures n’ont pas encore été faites, la convergence entre développement durable et efficacité opérationnelle semble dans ce cas précis positive : « l’emploi de biocarburants a pour conséquence une moindre émission de suie, et donc un moindre encrassement des turbines et des buses d’injection, ainsi qu’une meilleure combustion. L’empreinte infrarouge s’avère par ailleurs réduite, ce qui représente un atout certain en matière de furtivité », a conclu le chef de la division Infrastructure et énergie opérationnelle de l’EMA.

 

Coté industriel, des plans de sobriété énergétique sont également mis en œuvre, comme chez Dassault Aviation qui a adopté une triple-approche de « réduction de la consommation énergétique, d’autoproduction d’énergie renouvelable et de gestion et de valorisation des déchets en particulier en ce qui concerne les bâtiments construits récemment », ainsi que l’a expliqué Gauthier Houel.

 

Au niveau des moyens de soutien, celui-ci a évoqué leur électrification comme piste intéressante non seulement sur le plan opérationnel, en raison de leur flexibilité et capacité de rechargement sur divers supports – y compris au moyen d’un groupe électrogène classique -, mais aussi sur le plan environnemental, en raison d’une production de CO2 bien inférieure.

 

 

Notes :

[1] Une étude sur les nouveaux besoins du champ de bataille est de fait en cours au sein de la DGA.

 

Photo © anelb.com, 2024