
A la recherche d’une « défense durable » conciliant efficacité opérationnelle et impératifs environnementaux (II de II)
21 mars 2025 - Par Murielle Delaporte – Temps forts du quatrième panel du cycle de conférences AD2S intitulé « Le MCO aéro, acteur innovant du développement durable »
Ci-dessous la seconde partie des actes de ce panel :
- L’économie des ressources
Si la sobriété énergétique est aussi une priorité clairement définie par l’IGA Bellœil en ce qui concerne l’atelier industriel aéronautique de Bordeaux avec notamment « maîtrise de la gestion du risque environnemental et nouveau réseau d’eau », ce dernier agit « comme tout autre établissement industriel ».
En revanche dès lors que l’on adresse la question du MCO-A, il faut aller plus loin vers la sobriété de l’emploi des ressources en général : à l’origine de la naissance de l’AIA de Bordeaux, « premier ARMA – atelier de réparation du matériel aéronautique – créé en 1934 », réparer est non seulement la raison d’être de ce dernier, mais aussi « la clé du développement durable par économie de ressource ».
La réparation au sein de l’AIA de Bordeaux en charge du MCO des moteurs d’aéronefs (Rafale, Mirage, Alphajet, Tigre, C130, Hawkeye, etc) ne va pas constituer à juste changer une pièce, mais à réparer cette dernière quitte à démonter les dizaines de milliers de pièces qui forment un moteur : « si une plaquette de frein est usée, il va falloir lui redonner de l’épaisseur via différents traitements (soudure, faisceau d’électrons, électrolyse, projection de plasma, laser, etc). Nous nous attachons à inventer des modes de réparation pour que cela dure. Il nous arrive de reconstituer une pièce entière à partir de morceaux de pièces découpées : l’avantage est une moindre consommation de ressources, mais aussi un gain de temps. Il ne faut en effet pas oublier que si une telle réparation va prendre plusieurs mois, ce sera mieux que d’attendre parfois deux à trois ans pour obtenir une pièce neuve. »
Une telle démarche conjugue ainsi l’objectif de disponibilité des matériels et le développement durable par l’économie des ressources. Gauthier Houel parle ainsi de véritable « logique d’économie circulaire » en soulignant le rôle d’« architecte de soutien » de la DGSM au sein de Dassault Aviation : pour l’ancien militaire, il s’agit en effet d’avoir une approche globale allant dans le sens d’une « maintenance à coût maîtrisé ». Influencer la conception des avions pour en accroître la maintenabilité, trouver les moyens de prolonger la vie des systèmes, optimiser la maintenance programmée, mais aussi « récupérer les matériels pour une deuxième vie dans leur cycle de vie » sont autant de pistes participant à cette logique d’économie circulaire.
Le développement des moyens numériques de simulation, tels les jumeaux numériques, « avec recherche RSE et effets environnementaux » contribue par ailleurs à l’écologie des ressources, car qui dit maîtrise de l’empreinte logistique, dit maîtrise de l’empreinte environnementale. Un cercle vertueux peut ici s’établir pour limiter l’impact du MCO-A sur l’environnement (moins de transport, moins d’énergie, etc).
C’est également la démarche de Sopra Steria qui considère que le numérique est de fait un atout, voire un accélérateur pour aller vers une aviation durable et une économie des ressources. Christian Forestier, directeur de « Vertical Aeroline » au sein de la société, a ainsi expliqué l’enjeu consistant à passer d’une « technologie numérique compulsive à une technologie numérique efficace » au travers du programme « Aeroline Sustain », dont il est responsable. Là encore, le progrès passe par les outils de simulation et les super calculateurs contribuant notamment au développement de plateformes data et de jumeaux numériques.
Sachant que le numérique représente en moyenne environ 5 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde et que sa part dans les émissions mondiales devrait augmenter de plus de 45 % d'ici 2030, l’empreinte environnementale du numérique est ainsi prise en compte au travers d’une stratégie mettant l’accent sur « l'optimisation du cycle de vie des terminaux, la transformation des infrastructures », ou encore « la rationalisation des données ».
Au cœur de cette démarche se trouve « la maîtrise des outils et méthodologies de mesure de l’impact environnemental et de l’éco-conception de services numériques », que Sopra Steria propose au travers des outils suivants:
- « Sustainable IT Platform : mesure et analyse de l'impact environnemental d'une solution numérique ou d'un système d'information, basée sur la méthodologie de l’Analyse du Cycle de Vie (ACV) ;
- S4U : évaluation de l'empreinte carbone d'une mission avec une approche top down et bottom up ;
- Cloud Scanner : analyse de l'impact environnemental de l’utilisation d'AWS Instances en temps réel ;
- Référentiels d’éco-conception : diagnostic de la maturité de l’éco-conception de la solution numérique selon les meilleures pratiques et propositions de solutions d'amélioration en tenant compte de la réduction des impacts associés. »[1]
- La nécessité d’anticiper l’innovation MCO-A dans le domaine du développement durable
Face aux défis imposés en matière de développement durable, tant Gauthier Houel que l’IGA Bellœil ont mis en garde quant à la nécessité d’« anticiper, planifier et veiller pour aller de l’avant » aux vues de certaines contraintes environnementales liées à la règlementation européenne dite REACH (annexe 14)[2].
Tout comme pour les Pfas, il est en effet parfois difficile, voire impossible de trouver des alternatives à certains matériaux interdits en raison de leurs effets dangereux. C’est le cas du chrome « produit magique en aéronautique en raison de sa résistance aux hautes températures (sachant que la température d’un moteur d’avion excède 1500 degrés celsius), à la corrosion, au grippage, à l’abrasion, au brouillard salin, etc »[3]. L’AIA de Bordeaux conduit des recherches en liaison avec les universités et les centres de recherche, mais n’a pour le moment pas trouvé de matériau permettant d’allier toutes les propriétés du chrome.
Un tel processus de recherche d’alternative demande du temps, car une fois trouvée, la solution doit bien-sûr être testée en vol et validée par la DGA, tandis qu’il faut également s’assurer qu’il n’y aura pas de problème de « supply chain » si elle est adoptée.
Cette démarche est possible – comme ce fut le cas pour « le remplacement du décapage au gaz carbonique par des produits CND à thermographie infrarouge permettant de rechercher les défauts », mais il est nécessaire là aussi de s’y préparer de façon adéquate par une veille permanente.
Une telle anticipation vaut non seulement pour le produit susceptible d’être interdit ou dont la production pourrait être menacée en raison d’un accès aux ressources de plus en plus contesté, mais aussi pour tout l’écosystème qui l’accompagne. Gauthier Houel a ainsi cité l’exemple des piles à combustible à hydrogène qui fonctionnent bien, mais pour lesquelles le transport et le stockage d’hydrogène posent problème.
Toute nouvelle solution correspondant à une exigence de développement durable doit donc non seulement être pensée pour un emploi en opération, mais « tout système de soutien durable, robuste et adaptable » doit aussi être imaginé dans son ensemble, et non de façon isolée.
C’est également l’approche de Sabena Technics, dont la stratégie fait ses preuves : François Doré, directeur général adjoint stratégie et innovation, a ainsi souligné l'obtention de la note B au CDP, la plateforme de référence mondiale d’évaluation de l’impact environnemental des organisations. Cette organisation internationale à but non-lucratif gère l’une des plus grandes bases de données environnementales au monde et « récompense ainsi les mesures prises par les entreprises engagées qui s’inscrivent dans la trajectoire définie dans les Accords de Paris visant à contenir le réchauffement climatique à 1,5°C ». Un tel score souligne « le niveau de maturité du groupe en matière de gestion des émissions de gaz à effet de serre » et « témoigne de la bonne appropriation des principaux enjeux et impacts du changement climatique, et de la mise en place de mesures concrètes pour les réduire de manière transparente et responsable », peut-on lire sur le site internet de Sabena Technics[4].
Notes :
[1] https://www.soprasteria.fr/secteurs-activite/secteurs-activiteaerospatial/programme-aeroline-sustain
[2] NDLR : « REACH est un règlement européen (règlement(CE) n°1907/2006 du Parlement européen et du Conseil) entré en vigueur en 2007 pour protéger la santé humaine et l’environnement des risques présentés par les substances chimiques et adopter des règles communes pour favoriser le développement de l’industrie chimique européenne.» (source : https://www.ecologie.gouv.fr/politiques-publiques/reglement-reach)
[3] IGA Bellœil
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