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Cette seconde partie se concentre sur le retour d’expérience de l’opération Serval menée au Mali en 2013 et le rôle du CSFA pendant la durée d’une mission très particulière en raison de la nature du théâtre.

Archives - LE CSFA : « COMBAT PROVEN » (II de II)

 

Photo : soutien logistique pendant Serval © EMA / ECPAD
(telle que publiée dans >>> https://operationnels.com/2014/05/12/dans-les-coulisses-de-serval-assurer-le-soutien-logistique-dans-le-brouillard-de-la-guerre/)


Par Murielle Delaporte - Entretien avec le Général de corps aérien Jean-Marc Laurent, Commandant du Commandement du soutien des forces aériennes (réalisé en 2014)

 

Cette seconde partie se concentre sur le retour d’expérience de l’opération Serval menée au Mali en 2013 et le rôle du CSFA pendant la durée d’une mission très particulière en raison de la nature du théâtre.

 

L’arme aérienne a été essentielle pour réussir la première phase de Serval : quel premier bilan faites-vous de cette opération particulièrement exigeante ?

 

Serval, pour l’armée de l’Air et de façon plus pragmatique pour les forces d’appui aéronautique, a constitué un défi extraordinaire et un engagement où les qualités du combattant que sont l’expertise, l’efficacité, la robustesse et la résilience se sont révélées indispensables, mais aussi parfaitement maîtrisées. Le théâtre et l’engagement, vus des techniciens, ont présenté des caractéristiques spécifiques en termes d’élongation et de modes opératoires. Contrairement à l’Afghanistan et à la Libye, il nous a fallu opérer sur des distances intra théâtre considérables et avec un dispositif aérien particulièrement étendu qui a considérablement complexifié le fait logistique pour lequel la pénurie historique en moyens de transport aérien (stratégique ou tactique) n’arrange rien.

 

En effet, le théâtre malien est, comme en Afghanistan, un théâtre enclavé au cœur d’un vaste continent. Dans ces conditions, les capacités de ravitaillement logistique par les airs sont, pour des raisons d’accessibilité mais aussi de réactivité, les plus pertinentes et celles qui répondent plus directement aux enjeux politiques et sécuritaires. L’opération dans cette région subsaharienne a aussi été marquée par son architecture opérationnelle s’appuyant sur plusieurs sites qui couvrent une large partie du Sahel. La médiatisation des opérations se concentre souvent sur les zones les plus « chaudes » de l’engagement de nos forces nationales, mais il faut comprendre qu’une opération aérienne implique un espace de dimension continentale ou, pour le moins, subrégionale qui structure profondément leur réponse opérationnelle.

 

Ainsi, si le Mali est le point de focalisation des effets militaires, l’action des forces aériennes, et singulièrement des forces d’appui, doit se comprendre dans un vaste réseau de bases de théâtre qui interagissent ensemble et qui relèvent d’une architecture opérationnelle interconnectée (à l’image, d’ailleurs, du réseau des bases aériennes de métropole). Le CSFA a donc dû faire face, dans les domaines d’actions qui sont les siens, à cette amplitude du champ opératoire et chaque mouvement de systèmes d’armes de France vers le Sahel ou d’un site du théâtre vers un autre a répondu à une logique d’ensemble qui impose une approche globale du théâtre et rejette, pour ce volet aérien, toute segmentation par pays ou forme d’engagement (coexistence de trois opérations régionales aux objectifs initiaux différents : Epervier, Serval et Sabre).

 

Cette capacité de gestion technico-opérationnelle globale est une des forces du CSFA. Bien entendu, il n’est pas seul, ne s’arroge pas l’intégralité du succès opérationnel de l’opération et a œuvré en parfaite observance des orientations données par les pilotes opérationnels (CPCO- centre de planification et de conduite des opérations – et CDAOA – commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes -), et en intelligence avec les structures de conduite du soutien (CICLO – centre interarmées de conduite logistique opérationnelle -, CMT – centre multimodal du transport -), les prestataires aériens opérationnels (dont l’EATC – European Airlift Transport Command -) et les services de soutien partagé. 

 

Si la géographie a conditionné l’action des forces d’appui opérationnel de l’armée de l’air, les modes d’action ont aussi été déterminants dans la façon d’appréhender le soutien opérationnel de Serval. En Afghanistan, le dispositif aérien français s’est déployé progressivement en périphérie du théâtre (Kirghizstan, Tadjikistan et EAU) en développant des structures d’appui robustes (je pense entre autres à Manas que j’ai eu l’honneur de commander). Elles ont permis d’accroître graduellement la pression sur l’adversaire. Puis, la France a investi des bases aériennes coalisées du pays qui sont devenues des centres d’activité opérationnelle dont la capacité et les moyens resteront des références historiques (en particulier, Kandahar ou Bagram).

 

En Libye, le dispositif aérien a effectué, de façon nouvelle depuis la seconde guerre mondiale, des missions de combat «aller et retour» depuis le sol national (continent ou Corse). Cette période initiale a permis aux forces de soutien opérationnel du CSFA de conjuguer à la fois un appui aux opérations en cours, et de préparer les redéploiements du dispositif qui allaient s’opérer au plus près de la Libye (Souda en Crête et Sigonella en Sicile). Si l’opération Harmattan a été marquée par une accélération considérable du processus opérationnel (par rapport à l’Afghanistan) et par une course permanente contre la montre, le déroulement du processus opérationnel s’est néanmoins fait de façon échelonnée et la projection de puissance d’une part, et de forces d’autre part, s’est faite dans un ordre opérationnel favorable en projetant l’appui opérationnel de sites en sites avant que les opérateurs de systèmes d’armes (équipages et techniciens, entre autres) s’y installent. A cet égard, on peut se féliciter d’un mécanisme technico-opérationnel parfaitement huilé qui n’a jamais connu la moindre interruption opérationnelle, ni le moindre day-off durant les huit mois de l’engagement.

 

Pour Serval, la situation opérationnelle a été quelque peu différente et a constitué un challenge aussi nouveau que singulier pour les forces d’appui. Si les premières missions aériennes ont été déclenchées, comme pour Harmattan, avec un délai qui se compte en heures, les projections de puissance et de forces se sont faites simultanément car les Rafale partis de Saint-Dizier se sont posés en Afrique avant leurs techniciens, même s’ils ont profité de l’appui offert par la base de N’Djamena. Il a donc fallu beaucoup d’ingéniosité, de pragmatisme mais aussi d’énergie et de détermination aux échelons techniques d’appui pour « suivre et appuyer » la manœuvre et l’anticiper autant que faire se peut. Il en a été de même pour les redéploiements sur Bamako et autres aérodromes régionaux pour lesquels la contraction du temps entre la projection des aéronefs et la manœuvre logistique a été extrême et s’est conjuguée, en outre, à un déploiement terrestre d’ampleur qui n’existait pas pour Harmattan et n’avait pas été conçu de la même façon en Afghanistan.

 

Le CSFA a toujours été proactif dans la manœuvre et on se rappellera que les premiers aviateurs sur le sol malien comptaient principalement des techniciens de ce commandement. L’opération Serval aura donc été marquée par une nouvelle accélération du temps opérationnel qui s’est poursuivie tout le long de l’engagement. En effet, après l’entrée en premier réalisée par l’armée de l’air, les forces au sol (dont un certain nombre d’aviateurs des unités du génie aérien du CSFA) ont progressé vers le Nord du Mali avec rapidité et puissance dans un environnement rustique et non sécurisé. A cet égard, je me félicite de la façon dont les combattants techniciens de l’armée de l’air se sont comportés dans l’engagement dans les régions de Gao et de Tessalit où ils ont permis que les forces terrestres et aériennes progressent avec le soutien logistique nécessaire.

 

Enfin, Serval a été le cadre d’un engagement simultané de toutes les composantes aériennes de l’armée de l’Air et avec une activité particulièrement dense pour toutes. Si comme dans les autres opérations, l’aviation de combat a été au premier plan de la projection de puissance, avec un système d’armes Rafale qui continue de révolutionner le combat depuis les airs avec une efficacité et une adaptabilité exceptionnelles, l’aviation de transport a eu son heure de gloire avec des opérations aéroportées remarquables de conception et de réalisation et les systèmes de drones ont montré combien ils apportaient une nouvelle dimension à l’action politico-militaire. Derrière ces systèmes, des techniciens se sont battus et ont donné le maximum d’eux-mêmes pour extraire de nos vieux Transall à bout de souffle l’énergie opérationnelle nécessaire et de nos rares drones Harfang la disponibilité qui leur permet d’agir pendant des dizaines d’heures de façon ininterrompue.Voilà donc le premier Retex succinct que je fais en concluant avec ces trois points que je considère fondamentaux :Serval a avant tout mis en exergue des hommes et des femmes extraordinaires capables de l’impossible et qui s’évertuent à extraire le meilleur des systèmes d’armes avec des ressources et un contexte logistique sévères.


Serval, c’est aussi une organisation du Soutien opérationnel qui a confirmé son caractère Combat Proven. Mon souci est qu’elle conserve sa pertinence et sa cohérence malgré les tensions budgétaires et la tentation, pour certains, d’y détecter quelques économies aussi improbables que de court terme. Car, le soutien opérationnel n’est pas un élément d’environnement de la capacité militaire, il en est la substance même. Il faut même se convaincre que, dans l’aérien, «l’intendance» opérationnelle ne suit pas l’engagement des forces, mais qu’elle doit au contraire le devancer et que de sa puissance naît celle des effets militaires. Son concept et son organisation doivent donc s’inscrire dans ce principe absolu.


Enfin, pour terminer en se projetant dans l’avenir et le préparer, les forces d’appui doivent poursuivre leur maturation opérationnelle. Elles doivent imaginer et concevoir le soutien opérationnel de demain qui doit envisager des engagements toujours plus réactifs, plus éloignés, plus durs, plus complexes. Elles doivent en particulier poursuivre leur combat contre le temps dont l’échelle ne se compte plus en jours ou en semaines mais résolument en heures. Elles doivent rechercher et adopter les meilleurs facteurs de robustesse et de résilience. Elles doivent enfin, comme je l’ai en permanence exigé de mes unités, toujours combattre et raisonner en effet opérationnel à atteindre avant de penser production technique de soutien.

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