MCO-A : une histoire de générations (II de II)
Crédit photo : retour d’un équipage Puma de l’Escadron d'hélicoptère 1/44 de Solenzara,
dont les missions principales sont le secours terrestre (SATER) et maritime (SAMAR)
© Jean-Luc Brunet, armée de l’Air et de l’Espace, Solenzara, 10 avril 2024
Par Murielle Delaporte
Une « customisation » du MCO-A à prendre en compte
Un tel constat incite à réflexion et conduit à deux grandes observations générales sur ce que l’on pourrait appeler le « MCO-A intergénérationnel » :
1. Des logiques de cycles de vie différentes entre MRO civil et MCO-A : l'impact sur les structures
La première observation qu’il convient de rappeler est la différence de logique fondamentale qui oppose le secteur aéronautique civil du secteur militaire en termes de cycles de vie.
Là où le secteur commercial préfère renouveler sa flotte rapidement et régulièrement à des fins économiques (performance, consommation, maintenance), le secteur militaire tend à conserver les siennes, souvent de tailles réduites (hors Etats-Unis), parfois au-delà d’un demi-siècle : le Puma est un exemple, mais il en existe bien d’autres, telle, par exemple, la flotte de KC-135 dont l’armée de l’Air américaine a dû se contenter jusqu’à encore récemment ou encore le cas du CH-47 Chinook dont la famille est en service depuis 1962.
Les raisons sont multiples, mais la plupart du temps associées aux dividendes de la paix et autres contraintes budgétaires, mais aussi à une organisation des armées s’étant finalement adaptée aux besoins de maintenance des forces de façon organique et habituée à entretenir des matériels de plus en plus anciens avec des outils et des savoir-faire dérogeant aux principes industriels traditionnels.
En France, l’existence du SIAé (Service industriel de l’aéronautique) et des AIA (ateliers industriels de l’aéronautique) est caractéristique d’une politique délibérée de maintenir non seulement les compétences techniques humaines, mais aussi une chaîne d’approvisionnement spécifique aux matériels d’ancienne génération dans lesquelles aucune industrie commerciale privée ne saurait investir. « Les Ateliers Industriels Aéronautiques permettent de maintenir ces aéronefs opérationnels, même après que les entreprises privées n’assurent plus leur entretien. Ils deviennent donc des références en expertise aéronautique, développant des techniques de métrologie et de réparations à la pointe du progrès, et rassemblant des savoir-faire de plus en plus rares aujourd’hui. Cela est d’autant plus vrai que ces Ateliers sont les derniers dépositaires de pièces anciennement utilisées dans les vieux aéronefs et qui ne se fabriquent plus de nos jours. Il s’agit donc de ressources inestimables pour l’Etat, qui n’est ainsi pas dépendant d’un tiers pour maintenir la vaillance de sa flotte aérienne, et peut si nécessaire se suffire à lui-même », écrivait ainsi Amélie Spire en 2010 dans un article consacré au MCO du Puma à l’AIA de Cuers (1).
La cohabitation d’un modèle mixte de MCO-A où secteur public et secteur privé tendent à se compléter trouve ici sa justification, laquelle, en temps de crise, retrouve de surcroît une certaine légitimité face au besoin d’intervenir avec une urgence incompatible avec les règles contractuelles, voire agir sur les théâtres d’opérations extérieurs, le SIAé étant doté de personnels militaires spécifiques et rapidement mobilisables à cette fin.
2. Un équilibre à trouver entre coexistence multigénérationnelle et coût du MCO-A : l’impact sur les formations
Toute la difficulté des planificateurs militaires est de jongler entre flottes de générations différentes, tant d’un point de vue tactico-opérationnel que d’un point de vue maintenance, afin de satisfaire le besoin des forces et remplir les contrats opérationnels qui leur sont assignés. C’est aussi l’une des raisons expliquant qu’il est très difficile d’imposer une seule stratégie MCO dans les armées et un seul mode de gestion des flottes : au contraire, chacune, voire chaque standard au sein d’une flotte, requiert un MCO sur mesure et personnalisé.
Ce MCO-A multiformes est aussi lié aux conditions d’exploitation opérationnelle exigeant généralement un soutien de micro-flottes dispersées (aéronefs, techniciens et outils de soutien) et des utilisations tactiques épuisantes pour le matériel sur des théâtres se caractérisant souvent par la rusticité et la rigueur des éléments (chaleur, humidité, salinité, etc.).
La rupture générationnelle entre conception mécanique et numérique des aéronefs a encore renforcé ce dilemme, en ce sens que les mises à niveau et autres traitements d’obsolescence se font bien entendu de plus en plus par le biais de modernisation de logiciels, voire par extension de configurations. Cette digitalisation du MCO a conduit aussi à se doter d’outils de soutien technique non utilisables pour les générations anciennes, ce qui rend complexe la logistique déployée lorsque différents types d’aéronefs anciens et récents cohabitent.
D’où la nécessité au cours de ces dernières années de faire cohabiter mécaniciens d’ancienne génération et personnels de maintenance de nouvelle génération, dont les formations, les compétences voire les métiers s’avèrent très différents. A titre d’exemple, on citera notamment la disparition sur A400M et MRTT du mécanicien de bord au profit d’un soutier multifonctions.
Si les flottes d’autrefois requéraient un personnel MCO spécialisé pour chaque aéronef, ce dernier pouvait aussi opérer sur plusieurs flottes limitant l’empreinte logistique. Les personnels des flottes d’aujourd’hui bénéficient en revanche d’une vision numérique globale et de plus en plus unifiée des appareils (système d’information technique et logistique), laquelle a ses avantages, mais requiert bien évidemment une formation et un type d’intervention différents.
Dominée par l’adoption des pratiques managériales dites « Lean » dans les années 2000, l’optimisation des flottes en matière de MCO-A passe aujourd’hui davantage par la généralisation de technologies de rupture et par la numérisation « intelligente ». Un autre sujet à venir …
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