Plan d’entretien et de réparation des aéronefs militaires : « Passer à un PRE de combat » (I de II)
Par Murielle Delaporte - Temps forts du second panel intitulé « Une économie du MCO aéro qui se prépare au conflit »
Ce second panel, animé par Jean Belin, chercheur en Economie de défense au sein de l’Université de Bordeaux, réunissait les intervenants suivants :
- le général de brigade Martial Langlois, sous-directeur à la Direction de la maintenance aéronautique (DMAé), ministère des Armées ;
- l’ingénieur général de l’Armement Yannick Cailliez, directeur du Service industriel de l’aéronautique (SIAé) ;
- l’ingénieur général de l’armement Thierry Rouffet, adjoint au chef de service de la direction de l’industrie de Défense - service des orientations industrielles, DGA ;
- Bruno Chevalier, directeur général du soutien militaire, Dassault Aviation ;
- Emeric Tamboise, vice-président soutien et service client pour l’aéronautique militaire, Thales ;
- Sébastien Fabre, directeur de programme MCO/MRO, conseiller senior “Aeroline”, Sopra Steria ;
- Olivier Tillier, directeur du soutien militaire français, Airbus Helicopters.
Face au spectre de la conjonction d’un engagement majeur et de la haute intensité, les modes opératoires évoluent et, étant donné « la spécificité française d’une industrie de défense relevant à part entière de sa posture de défense » il est logique que les états-majors réfléchissent quant à la façon dont peuvent s’adapter les méthodes de travail du « pôle technico-industriel », lequel inclut les industriels, mais aussi l’Etat [1].
L’objectif de ce panel a ainsi consisté pour chacun des intervenants à répondre à la question posée par Jean Belin en introduction, à savoir : « quel est l’impact de la haute intensité et du retour de la symétrie entre adversaires depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine au sein de votre entité ? »
Leurs présentations et réponses ont tourné autour de quatre axes majeurs :
- la mobilisation des ressources pour assurer la montée en puissance (le « Ramp-up ») des capacités de production et de régénération ;
- l'optimisation de solutions déjà existantes grâce à l’existence d’une base industrielle à double-usage ;
- l'urgence d’alléger le carcan réglementaire du temps de paix afin d’optimaliser le ratio entre heures de maintenance et heures de vol pour réduire le temps d’immobilisation des aéronefs ;
- l’autonomie nationale en termes de ressources, condition essentielle pour faire face à la HI.
Cette première partie traite de la mobilisation des ressources pour assurer la montée en puissance (le « Ramp-up ») des capacités de production et de régénération.
- Les conditions d’un « ramp up » des capacités de production
Pour le général Langlois, représentant la DMAé, la première conséquence du retour d’un adversaire puissant et symétrique et de la nécessité de couvrir tout le spectre des scénarios « temps de paix – crise – engagement majeur » est la nécessité de devoir faire face à la mise en œuvre de moyens considérables, qu’il s’agisse d’aéronefs, de drones, de moyens d’environnement ou de systèmes de systèmes.
D’une façon générale, accroître le nombre d’aéronefs déployés et l’activité aéronautique implique une mobilisation accrue des forces et des industriels pour augmenter la cadence de production techniqu, et fluidifier les processus logistiques, mais aussi pour éviter les ruptures d’acheminement des pièces de rechange (logistique industrielle versus logistique opérationnelle), avec comme prérequis une augmentation des ressources humaines.
Ce « ramp up important des capacités de production » devra par ailleurs se faire dans un contexte de pertubation et de surcharge des cycles de maintenance et des flux, étant donné la priorité à donner à la réparation de matériels de guerre endommagés et un risque d’attrition particulièrement élevé en cas de haute intensité. Qui dit HEM/HI dit en effet crise internationale pouvant rendre un accès aux ressources plus incertain, tandis que le caractère hybride de la guerre au XXIème siècle induit par ailleurs une compromission potentielle des réseaux de communication – en plus des menaces physiques - comme facteurs aggravants susceptibles d’accentuer encore davantage la pression sur l’appareil industriel.
Le défi consiste donc à faire face à des « impératifs contradictoires » avec la nécessité de répondre à l’urgence tout en réaffectant les moyens nécessaires aux besoins courants.Afin de répondre aux enjeux associés au concept d’« économie de guerre » qu’un tel contexte peut induire, la direction de l’industrie de défense a donc été « créée en mars dernier dans le cadre du projet « Impulsion DGA » en fusionnant le service des affaires industrielles et de l’intelligence économique et le service de la qualité », explique l’IGA Thierry Rouffet[2].
Son objectif premier est de mieux « connaître la base industrielle et technologique de défense afin de la protéger » tant au niveau de sa dépendance non souveraine - en régulant davantage les investissements étrangers en France - qu’au niveau de la menace cyber qu’il s’agit de mieux prendre en compte.
« Produire plus, plus vite et mieux » est ainsi la nouvelle mission d’accompagnement des sociétés par la DGA en vue de l’amélioration de la « performance industrielle ». La création de l’« Accélérateur Défense » avec BPIFrance s’inscrit de fait dans cette optique[3], ainsi que la mise en en place d’un « guichet unique DGA pour tous les entrepreneurs quelle que soit leur taille ». De son côté, le SIAé, avec ses cinq AIA (ateliers industriels aéronautiques) au sein desquels travaillent 4 900 personnes, présente des atouts nouveaux à partir du moment où l’on passe dans un contexte de haute intensité, lequel requiert « un dialogue de coopération essentiel et un travail collaboratif entre tous les acteurs du MCO », ainsi que l’a appelé de ses vœux son directeur, l’IGA Yannick Cailliez. Un exercice comme Orionis, mis en œuvre par l’armée de l’Air et de l’Espace, permet aujourd’hui de réunir ces différents partenaires civils et militaires, a-t-il souligné en introduction de sa présentation[4].
Ce type de dialogue basé sur l’expérience opérationnelle conduit ainsi à optimiser les plans de MCO et à identifier non seulement le type de rechange dont il faut accroître la disponibilité, mais aussi les solutions de réparation spécifiques à la haute intensité. Réparer « au plus près de l’avion » de façon à limiter au maximum les flux NTi3 [Ndlr : c’est-à-dire la partie NSI en base arrière et dans les sites industriels] est indispensable dans un tel contexte et nécessite, de l’avis de l’ingénieur général de l’armement, un « déploiement SIAé sur site » et une nouvelle formation NSO devant permettre à ce dernier de renforcer son rôle de « partenaire des forces pour voler » pour répondre aux besoins de ces dernières et de demeurer pertinent face à l’hypothèse HI.
Notes :
[1]Général (2S) Jean-Marc Laurent
[2] Ndlr : Voir sur ce sujet >>> https://www.defense.gouv.fr/economie-guerre-produire-plus-plus-vite-defi/industriels-doivent-anticiper-investir-maintenant-leur-outil
[3] Ndlr : le premier programme issue de l’« Accélérateur Défense » a été initié en mars 2024 et réunit 28 PME >>> https://www.defense.gouv.fr/dga/actualites/lancement-laccelerateur-defense-partenariat-bpifrance
[4] Ndlr : voir sur ce sujet >>> https://www.defense.gouv.fr/air/actualites/maintien-condition-operationnelle-aeronautique-soyons-prets-reactifs-efficaces
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