ARCHIVES / LE CSFA : « COMBAT PROVEN » (I de II)
MCO du Rafale © armée de l’Air et de l’Espace
(telle que publiée sur https://operationnels.com/2014/05/11/le-csfa-combat-proven/)
Archives - Par Murielle Delaporte -
Entretien avec le Général de corps aérien Jean-Marc Laurent, Commandant du Commandement du soutien des forces aériennes*
*Cet entretien réalisé en mai 2014 a fait l’objet d’une publication dans Opérationnels SLDS
Dans l’entretien ci-dessous réalisé en 2014, le Général Laurent faisait le bilan de l’évolution du commandement du soutien des forces aériennes (CSFA), alors qu’il le commandait de concert avec la zone de défense et de sécurité Sud–Ouest. Ce commandement, né en 2008 du programme AIR2010, s’apprêtait alors à fusionner avec le CFA (commandement des forces aériennes). Cette réforme mettait en avant sa fonction première d’accompagnement des forces « au cœur de la manœuvre opérationnelle », ainsi que sa performance technico-opérationnelle prouvée OPEX après OPEX : Serval, opération emblématique s’il en est et qui fait l’objet d’une section dédiée dans cet article (partie II), n’avait pas fait exception malgré des conditions difficiles d’un théâtre caractérisé par « l’amplitude de son champ opératoire » et « l’accélération du temps opérationnel », et face auxquelles le CSFA avait su s’adapter en permanence.
Depuis votre entrée en fonction à la tête du CSFA, quelle a été l’évolution du soutien des forces aériennes et quelles sont ses perspectives ?
Depuis 2010, l’environnement de ce qui s’appelle le soutien des forces aériennes a beaucoup changé. A cet égard, le qualificatif « transformation » est plus approprié pour une réalité qui n’est pas qu’une simple « évolution». Chaque armée dispose en son sein d’éléments dynamiques de soutien qui sont intimement liés au tempo opérationnel de ses engagements et qui sont particulièrement marqués par le milieu dans lequel elle s’exprime. Cette forme de soutien a pour objectif de subvenir à des besoins opérationnels immédiats et de proximité qui ne relèvent pas toujours d’une planification à moyen ou long terme et qui sont même souvent marqués du sceau de l’aléatoire.
C’est la raison pour laquelle, afin de traduire correctement la finalité de ce soutien, je parle souvent « d’appui», car il s’agit pour lui d’accompagner la manœuvre opérationnelle, souvent d’ailleurs de la devancer, et de générer des solutions technico-opérationnelles pour la faciliter plutôt que de répondre à un seul besoin de production technique. Ainsi, en ce qui concerne le CSFA, on est plus dans une logique de «forces de soutien» que de «soutien des forces». Cette distinction ne doit pas être considérée comme une subtilité sémantique. Elle traduit clairement le fait que les hommes et les femmes du CSFA sont autant des combattants que des techniciens et qu’ils ne font pas partie de l’environnement des forces mais en sont une partie intégrante. De fait, un aviateur – c’est-à dire un personnel relevant de l’armée de l’air – sur deux, et parfois plus en début ou en fin d’engagement dans les zones de crise, relève de ce commandement, qui n’est pas qu’une direction technique de l’armée de l’air mais représente sa composante technico-opérationnelle.
Pour être clair et précis, au CSFA on ne fait pas de la technique pour la technique. On ne produit pas des services de soutien. Au CSFA, comme dans les autres commandements de l’armée de l’air, on produit de la capacité opérationnelle dont la vocation est un effet militaire. On est donc bien au cœur de la Force.D’ailleurs, l’ambiguïté portée par le nom de ce commandement sera bientôt levée car il va fusionner avec un autre commandement de l’armée de l’air, le CFA (Commandement des forces aériennes), qui dirige les «opérateurs» de l’armée de l’air qu’ils soient liés aux systèmes d’armes, aux systèmes de C2 (commandement et contrôle) ou aux systèmes de protection. Le CSFA sera ainsi fondu dans ce qu’il convient d’appeler «Les Forces aériennes» de l’armée de l’air dont il composera environ la moitié des effectifs.
Sans remettre en cause le programme Air2010 qui lui a donné naissance, le CSFA ne s’est pas figé sur son modèle de 2008 et s’est transformé au gré des différentes réformes et modernisations de l’outil de Défense qui ont sensiblement modifié le panorama des acteurs du Soutien. Celui-ci s’est d’abord caractérisé par un fort mouvement de mutualisation interarmées (SIC – systèmes d’information et communication – non spécifiques, soutien de l’Homme, etc.) et ministériel (Infrastructure par exemple). Ces changements majeurs dans la gouvernance du soutien, ajoutés à la modification du format des forces (Livre blanc de 2008) et aux rationalisations de la RGPP, ont conduit à une diminution de moitié des effectifs du CSFA et au transfert vers des centres de services partagés (CSP) de nombreuses fonctions de soutien. Par ailleurs, une dynamique soutenue d’industrialisation des opérations de maintenance aéronautique a conduit à une externalisation très significative du MRO (Maintenance, Repair and Overhaul) vers l’industrie du secteur étatique ou privé de l’ASD (aéronautique, spatial, défense), en particulier en ce qui concerne les opérations du deuxième niveau technique NTI2.
J’estime qu’aujourd’hui et en moyenne, le NSI – Niveau de soutien industriel – a atteint un taux de 75 à 80 % du MRO. Cette proportion est très importante et le NSO – Niveau de soutien opérationnel – résiduel (soutien effectué par les unités du CSFA) frôle une limite basse qui ne pourra être franchie sans que la capacité opérationnelle soit affectée. Au final, par le biais de transformations, rationalisations et industrialisations, le CSFA a vu ses effectifs rejoindre une cible actuelle d’environ 12000 personnes, à plus de 90% militaires, et le contexte opérationnel l’a fait se recentrer sur deux grandes familles de missions opérationnelles qui sont au cœur des opérations de l’armée de l’air : l’appui aux systèmes d’armes et l’appui à la manœuvre aérienne. Ces appuis se concrétisent aussi bien sur les bases aériennes, conçues comme le véritable outil de combat de l’armée de l’air, et en OPEX, au sein des détachements de forces aériennes.La première de ces missions est l’appui technico-opérationnel aux systèmes d’armes. Il s’agit principalement de ce qu’on appelle le MCO (maintien en condition opérationnelle), qui ne couvre pas uniquement le MRO. Dans le sigle MCO, la dernière lettre, qui traduit son caractère opérationnel, est fondamentale et si le MCO recouvre, bien entendu, de la maintenance, il ne se limite pas à cette activité.
Ainsi, préparer un aéronef pour une opération aérienne (configuration du système d’armes, montage de l’armement, mise en œuvre des capteurs, préparation des dispositifs de guerre électronique, etc.), ce n’est pas de la maintenance. C’est de l’action de combat. Ces opérations demandent des expertises spécifiques que les «techniciens combattants » doivent être en mesure de développer dans toutes les situations et, en particulier, celles qui s’inscrivent dans un tempo très soutenu, celles qui sont marquées par un contexte logistique dégradé, et celles qui font face à l’incertitude sécuritaire. Pour réaliser l’appui technico-opérationnel aux systèmes d’armes, le CSFA s’appuie principalement sur des escadrons de technique aéronautique (ESTA), des escadrons de logistique aéronautique (ESRT) et des escadrons de mise en œuvre des matériels d’environnement aéronautique (ESME).
Le second volet opérationnel du CSFA est celui de l’appui à la manœuvre aérienne. Il est très complémentaire de l’appui aux systèmes d’armes auquel il offre souvent le cadre fonctionnel (installations aéronautiques et dispositifs informationnels). Mais il agit aussi pour d’autres éléments des forces armées à qui il permet parfois de réaliser des missions complexes et sensibles dans la troisième dimension (commandement des opérations spéciales, armées de terre et de mer). L’appui à la manœuvre aérienne, c’est principalement deux domaines d’intervention.
Le premier est celui des systèmes d’information et de communication aéronautiques (SIC Aéro). Il s’agit d’un secteur spécifique des SIC qui regroupe les systèmes de commandement et de contrôles (C2), les radars aériens et spatiaux, les liaisons aériennes tactiques, l’équipement des plateformes aéronautiques, etc. C’est aussi, et le sujet est très clairement central aujourd’hui, un appui en matière de cyberdéfense (le CSFA anime le centre technique de l’armée de l’air en la matière). Pour appuyer la manœuvre tactique des SIC aéro, nous avons des escadrons dédiés sur les bases aériennes (ESICAéro – Escadrons des SIC aéronautiques). Le CSFA a aussi créé un groupement tactique des SIC aéro, positionné à Evreux, qui est une forme de « régiment SIC » car il s’agit d’une unité immédiatement projetable, particulièrement mobile, présente sur tous les théâtres d’opérations et au cœur des zones de crise (FOB en Afghanistan, auprès des forces spéciales, dans les ATL2 de la Marine lors d’Harmattan, au Sahel bien entendu, etc.). Hormis la mise en œuvre des systèmes tactiques, l’expertise rare et recherchée du CSFA est surtout la capacité de concevoir les architectures de C2 des opérations aériennes.
Le second domaine d’intervention de l’appui à la manœuvre est celui du «génie des opérations aériennes». Il s’agit de la capacité à mettre en place les conditions d’accueil des systèmes d’armes, de leurs opérateurs et de leurs techniciens opérationnels. En métropole, il porte l’expertise unique en matière d’installations aéronautiques des bases aériennes (installations de la dissuasion, aires aéronautiques, tour de contrôle, hangars, centres de commandements, etc.) que le Service d’Infrastructure de la Défense (SID) traduit ensuite, avec les entreprises du BTP, en projets d’infrastructure. En opération, le rôle des forces du génie aérien est de développer et construire les dispositifs de stationnement et d’opération des détachements de l’armée de l’air. Il s’agit, entre autres, de déminer et sécuriser les terrains, comme en Afghanistan. Il s’agit aussi d’y construire ou de restaurer des pistes aéronautiques, comme à Tessalit au Mali, de développer des installations aéronautiques qui permettent à notre aviation interarmées d’opérer comme à Niamey, Bamako, Gao mais aussi, lors d’Harmattan, à Souda et Sigonella et, en Asie centrale, à Djibouti et au Tchad, etc.
Afin de traduire correctement la finalité de ce soutien, je parle souvent « d’appui », car il s’agit pour lui d’accompagner la manoeuvre opérationnelle, souvent d’ailleurs de la devancer, et de générer des solutions technicoopérationnelles pour la faciliter plutôt que de répondre à un seul besoin de production technique. Ainsi, en ce qui concerne le CSFA, on est plus dans une logique de « forces de soutien » que de « soutien des forces ».
Le CSFA va poursuivre, au sein de l’armée de l’air, ce processus de maturation opérationnelle par un rapprochement fonctionnel et organique avec le CFA. Celui-ci permettra de rendre encore plus robuste la chaîne de commandement technico-opérationnelle. Il mettra aussi et surtout l’armée de l’air dans la meilleure posture pour faire face aux nouveaux enjeux de défense, d’innover utilement en matière de concepts et de doctrines d’emploi par une plus grande complicité entre combattants de l’armée de l’air, d’optimiser la préparation des forces au moment où les ressources humaines et matérielles doivent faire l’objet d’une gestion particulièrement fine, d’amplifier la cohérence entre opérateurs et techniciens de façon à apporter aux décideurs les meilleurs solutions capacitaires et de maîtriser les risques de façon encore plus efficace (facteur humain, sécurité aérienne, maîtrise des ressources, etc.).
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